Behar (Sur le mont Sinaï)
Behar est une paracha qui aborde la construction d’une société libre et égale.
1. Les leçons des années shabbatiques et jubilaires
Dans son best-seller de 2014, Thomas Piketty relève que les inégalités ont connu une croissance spectaculaire ces 40 dernières années. Les plus riches connaissant une croissance de leurs richesses de l’ordre de 250%, augmentant encore le fossé existant avec les moins nantis.
Piketty explique que l’économie de marché a pour effet de nous rendre à la fois plus et moins égaux. Si elle a rendu plus accessible l’éducation et la connaissance, elle a creusé les inégalités, spécifiquement en augmentant l’écart entre ceux qui possèdent un capital et ceux qui ne peuvent compter que sur le fruit de leur labeur.
Il en conclut un risque important pour la justice sociale qui fonde la démocratie.
Le récit de Behar établit des lois pour y remédier grâce à la notion du temps. Le temps joue un rôle particulier afin de corriger les conséquences que la liberté, ou le libéralisme, peut avoir sur le principe d’égalité. Cette correction intervient grâce à des cycles de 7 ou 50 ans (jubilée).
Behar propose ces deux cycles de redistribution, Shemittah et Yovel, la septième et la cinquantième année. L’intention ici est de rétablir des règles du jeu équitables grâce à une combinaison de remise de dette, de libération des esclaves et de restitution des terres ancestrales à leurs propriétaires d’origine. C’est une manière de redresser les inégalités accumulées sans intervention constante dans l’économie.
Maïmonide souligne que ces lois qui garantissaient de la nourriture pour les nécessiteux, la libération des esclaves, l’annulation des dettes et la restitution des terres avaient toutes pour but d’enseigner “l’empathie envers les autres et de promouvoir le bien-être de tous”.
Le penseur américain Henry George (19ème) considère que le jubilé “était une mesure désignée pour maintenir une distribution égalitaire de la richesse”.
Ces deux cycles ont inspiré des acteurs récents de la justice sociale: la liberty Bell est gravée du verset de Behar rappelant le jubilée, ou encore les mouvements soutenant l’allègement de la dette des pays les plus pauvres qui a choisi la dénomination Jubilée 2000.
La notion fondamentale, c’est qu’on ne possède jamais indéfiniment. On est un gardien, mais ce que l’on a, appartient à l’humanité, à la terre, à Dieu dans le récit.
L’idée d’indépendance est fondamentale dans la compréhension de la dimension morale de l’économie.
L’économie doit en effet être fondée sur des principes moraux. Ce qui importe dans le traitement de l’économie, ce ne sont pas des standards absolus de richesse, mais la qualité des relations humaines qui en découlent: l’indépendance économique de l’individu, la dignité et la solidarité.
2. La mitsvah de se soucier des personnes pauvres
La terminologie de Behar est exemplative de cette priorité attachée aux relations humaines, elle utilise le registre de la famille. A dix reprises, on utilise le mot « frère ». “Ne fais pas de tort à ton frère”, “Si ton frère devient pauvre”, …
La famille est un élément essentiel du judaïsme, c’est d’ailleurs le thème central du livre de la genèse.
Des familles fortes sont essentielles aux sociétés libres . Là où les familles sont fortes, il existe un sentiment d’altruisme qui peut s’étendre vers l’extérieur, de la famille aux amis, aux voisins, à la communauté et, de là, à la nation dans son ensemble.
Si nous avons plus que ce dont nous avons besoin, nous devons le partager avec ceux qui ont moins que ce dont ils ont besoin. C’est ça la tsédaka : justice et charité réunies.
La tsedaka ne concerne pas seulement les riches, ni ne se limite à une aide matérielle. Les plus pauvres aussi sont tenus par l’obligation de la tsedaka: “Si tu n’as rien à donner, offre la consolation”.
La paracha Behar aborde les questions cruciales de la solidarité et de l’économie.
Cette thématique est sans cesse rappelée par les prophètes, qui dénoncent l’oppression et l’exploitation.
Un principe qui peut être déduit du Tanach est que le marché a été fait pour servir les êtres humains ; les êtres humains ne sont pas faits pour servir le marché .
Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks