Aristides de Sousa Mendes, Juste parmi les Nations

Aristides de Sousa Mendes. Courtesy of Olivia Mattis

 

Le 17 novembre dernier, à la Grande Synagogue de Bruxelles, une nombreuse assemblée rendait hommage à Aristides de Sousa Mendes.

Organisée par la Fondation Les Justes de Belgique et la Sousa Mendes Foundation, avec la participation de l’ambassadeur du Portugal en Belgique, cette cérémonie honorait la mémoire du consul de Bordeaux qui en juin 1940, désobéissant aux ordres du dictateur Salazar, délivra des visas portugais à des milliers de réfugiés juifs et les sauva au prix de sa carrière et du bien-être de sa propre famille.

Charlotte Gutman, co-présidente de la Fondation Les Justes de Belgique, explique : Mon amie Alexandra Bourla, travaille depuis dix ans comme bénévole au Musée juif de Belgique où elle a fondé un département des Justes. Elle m’a convaincue de créer avec elle La Fondation Les Justes de Belgique, il y a quelques mois. Nous avons participé à l’inauguration au Portugal du musée Aristides de Sousa Mendes et avons voulu commémorer le 70e anniversaire de son décès en organisant à Bruxelles un événement rappelant son engagement exceptionnel, en particulier pour les Juifs de Belgique. Il a fait des visas pour des milliers de réfugiés originaires de 49 pays différents. La moitié du gouvernement belge en a bénéficié, de même que la famille royale et la famille princière du Luxembourg. Cet événement est placé sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi Albert II. Quand il avait 6 ans, Albert, son frère Baudouin et leur sœur Joséphine-Charlotte ont bénéficié du visa Sousa Mendes, et ont été recueillis en Espagne, avant d’être rappelés au château de Laeken. Je pense que le roi s’est souvenu de ce moment, et a voulu soutenir notre projet.

Charlotte Gutman évoque aussi la mémoire de feu Maurice Konopnicki (1938-2015) qui avait créé une Maison des Justes à Charleroi (1998-2003). Présidente et cofondatrice de la Sousa Mendes Foundation de New York, Olivia Mattis est musicologue. Ses grands-parents maternels, Chaïm et Fela Perelman ont joué un rôle capital dans la Résistance juive à Bruxelles. Douze membres de sa famille paternelle, les Matuzewitz, ont été sauvés par «l’ange de Bordeaux» : Cet événement met en lumière les nombreux liens entre Aristides de Sousa Mendes et la Belgique. Il était consul à Anvers et certains de ses enfants étudiaient à l’Université Catholique de Louvain. Puis il a été transféré, presque rétrogradé, à Bordeaux. Mes grands-parents paternels Joseph et Lucie Matuzewitz et leurs enfants habitaient 23 Avenue de la Jonction, à Saint-Gilles. Ils ont fui Bruxelles le vendredi 10 mai 40, pris le dernier train pour Paris, puis continué leur exode jusqu’à Bordeaux où mon grand-père a rencontré par hasard, en rue, le rabbin Kruger. Celui-ci lui a dit à de se rendre au consulat portugais, car il délivrait des visas. Mon grand-père a rassemblé les passeports de la famille, s’est rendu au consulat et a obtenu tous les visas. Ils ont pu aller au Portugal, à Coimbra, puis se sont embarqués pour le Brésil. Sousa Mendes a été l’ange qu’ils ont rencontré dans leur fuite vers la liberté.

Le Rabbin Kruger et Aristides de Sousa Mendes

Né le 19 juillet 1885 à Cabanas de Viriato, dans la municipalité de Carregal do Sal, au centre du Portugal, Aristides de Sousa Mendes suit des études de droit à l’Université de Coimbra. Diplômé en 1907, il épouse l’année suivante sa cousine Angelina, avec laquelle il aura 14 enfants. Il commence la carrière diplomatique et devient consul en Guyane britannique, puis à Zanzibar, au Brésil, aux États-Unis (San Francisco et Boston) et en Espagne (Vigo). En 1929, il est nommé consul à Anvers, où il découvre le sort des immigrés juifs d’Europe de l’Est. Le dictateur Salazar le nomme consul à Bordeaux en 1938. Fin 1939, il y délivre des documents à certains exilés antifascistes, contrevenant à la circulaire 14 que vient d’imposer Salazar, limitant l’octroi de visas portugais aux réfugiés, en particulier aux Juifs. Juin 1940, l’avancée allemande provoque l’afflux massif de réfugiés à Bordeaux, beaucoup venant de Belgique. Parmi eux des personnalités politiques, des intellectuels, des artistes et des familles juives. Sousa Mendes décide de suivre sa conscience et désobéit ouvertement aux ordres de Salazar. Décidé à sauver ces milliers de réfugiés des nazis, il délivre des visas en masse avec l’aide de ses enfants, de neveux et du rabbin Kruger. À Bordeaux, puis à Bayonne et jusque sur les routes de la frontière espagnole, il multiplie les efforts pour sauver des vies, émettant des visas pour des familles entières et leur permettant de trouver asile au Portugal. Les récits de nombreux réfugiés témoignent de l’héroïsme d’Aristides, qui poursuit son œuvre jusqu’au 23 juin 1940, malgré les ordres de Lisbonne. Sa désobéissance lui vaut d’être radié de ses fonctions, privé de pension et réduit à la misère.

Aristides et Angelina de Sousa Mendes avec leurs six premiers enfants. 1917

Dans un discours émouvant Marc d’Août, petit-fils du consul de Bordeaux, évoque sa fin tragique: Il s’éteint dans l’anonymat et la solitude complète en 1954, prononçant ses dernières paroles de fierté. « Je n’ai rien à vous laisser, sauf mon nom, et il est propre. » Pendant des décennies, le nom de Sousa Mendes est proscrit au Portugal, ses enfants sont contraints à l’exil vers le Congo belge, le Canada, les États-Unis et d’autres pays d’accueil. Mais grâce à la ténacité de sa famille et au soutien de nombreux associations, son histoire est finalement reconnue. Comme le rappelle ensuite le maire de Carregal do Sal, Paulo Catalino, l’acte courageux de Aristides de Sousa Mendes sera reconnu bien plus tard par les autorités portugaises. En 1966, Yad Vashem lui décerne le titre de Juste parmi les Nations. En 1987, le Président portugais Mário Soares lui accorde l’Ordre de la Liberté. En 1989, l’Assemblée de la République portugaise répare l’injustice en le réintégrant dans la carrière diplomatique. Le 19 octobre 2021, Aristide de Sousa Mendes entre au Panthéon national du Portugal, à Lisbonne ; distinction suprême en hommage au « consul rebelle ».

Le President du Portugal, Marcelo Rebelo de Sousa, et les descendants de réfugiés ayant bénéficié des visas d’Aristides de Sousa Mendes lors de l’inauguration du musée. Courtesy of Olivia Mattis

Le nouveau Musée Aristides de Sousa Mendes se situe à Cabanas de Viriato dans la Casa do Passal, ancienne demeure familiale de « l’ange de Bordeaux », à sa mort saisie par les créanciers et tombée en ruine. En 2001, la Fondation Aristides de Sousa Mendes l’acquiert grâce à des fonds de réparation du gouvernement portugais en reconnaissance des torts causés à Sousa Mendes. En 2011, la Casa do Passal est classée Monument National, ce qui facilite l’obtention de financements publics et européens. En 2014, une chaîne humaine organisée autour de la maison attire l’attention de la presse portugaise sur son état d’abandon. Cette mobilisation aide à débloquer des fonds initiaux, cofinancés par l’Union européenne et le gouvernement portugais. Un soutien financier renouvelé en 2015 par l’Union européenne. Ces financements permettent d’engager des travaux pour restaurer l’édifice et en faire un musée. En 2020, le gouvernement portugais garantit les fonds nécessaires à l’achèvement des travaux. Le musée est inauguré par le président portugais Marcelo Rebelo de Sousa le 19 juillet 2024, jour anniversaire de la naissance de Sousa Mendes.

Le musée avant et après rénovation

Le musée de la Casa do Passal raconte l’histoire du consul, de sa famille et de ses actes héroïques. L’exposition permanente plonge les visiteurs dans le contexte historique et politique de l’époque, de sa désobéissance courageuse à sa réhabilitation posthume et met aussi en lumière les récits d’autres Justes portugais. Attentif à ses jeunes visiteurs, le musée consacre une salle à « Curious George », héros d’une série de livres pour enfants, écrits et illustrés par Margret et Hans Rey, des réfugiés juifs allemands, sauvés par Aristides de Sousa Mendes, et devenus célèbres dès la publication en 1941 du premier livre des aventures de George : « un bon petit singe, toujours très curieux ». Ouvert au public le 20 juillet, ce nouveau musée accueille en trois mois plus de 17 500 visiteurs, ce qui témoigne de l’impact de ce lieu de mémoire historique, en particulier parmi les jeunes portugais, qui ont tant à apprendre de l’exemple d’Aristides de Sousa Mendes.

Allan Drummond et la salle Curious George du musée Aristides de Sousa Mendes. Courtesy of Olivia Mattis

Roland Baumann

 


Pour en savoir plus

https://en.wikipedia.org/wiki/Aristides_de_Sousa_Mendes (la version française de cet article estplus sommaire)
https://www.smithsonianmag.com/history/the-righteous-defiance-of-aristides-de-sousa-mendes-180978831/
Musée virtuel Aristides de Sousa Mendes : https://mvasm.sapo.pt/
https://fr.wikipedia.org/wiki/António_de_Oliveira_Salazar
https://fr.wikipedia.org/wiki/Circulaire_14
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chaim_Tzvi_Kruger
https://en.wikipedia.org/wiki/Carregal_do_Sal
https://en.wikipedia.org/wiki/Curious_George
https://en.wikipedia.org/wiki/H._A._Rey

Musée Aristides de Sousa Mendes
Casa do Passal, Avenida Cristo-Rei
Cabanas de Viriato, 3430-607
Tous les jours sauf lundi : 10h-13h et 14h-18h (17h30 en hiver)
www.cm-carregal.pt

https://sousamendesfoundation.org/museum/
https://www.centerofportugal.com/fr/tour/aristides-de-sousa-mendes-le-consul-insubordonne
Fondation Les Justes de Belgique : https://justesdebelgique.org/

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