Tout le bruit du Guéliz, Ruben Barrouk

Dans un quartier de Marrakech, une vieille dame voit soudain sa paisible existence parasitée par un bruit étrange.
Ce qui apparaissait comme un bourdonnement insignifiant se transforme en une obsession envahissante à tel point que ses enfants, vivant tous les quatre à l’étranger, s’inquiètent de son état mental.

Ils délèguent alors une de leurs soeurs qui, accompagnée de son propre fils, prend l’avion et fait le voyage vers le berceau familial.

 

Loin d’être chaleureuses, ces retrouvailles sont cadrées par une distance dans laquelle chaque protagoniste tente de retrouver ce qui lui était pourtant si familier dans un autre temps. Avant que la famille ne se disloque, que les liens ne s’estompent, que le silence n’enveloppe les pièces de l’appartement désormais condamnées puisqu’ inutiles, semblables aux salles immobiles d’un musée ethnographique.

Seule la cuisine irradie d’une énergie vitale, d’une pulsation renouvelée, où se concoctent les mets traditionnels, les recettes ancestrales préservées soigneusement dans un livre dont les pages ont été tournées par des générations de mains féminines. Quant à l’examen attentif scrutant l’apparition du bruit mystérieux, il se révèle infructueux.

La vieille dame demeure isolée dans sa conviction inébranlable, face à l’incrédulité des deux autres témoins.Les déambulations dans l’ancien mellah se révèlent vaines à ressusciter tout aspect d’une vie familiale, jadis rythmée par l’animation du quartier et idéalisée par l’exil. Toute trace d’une présence juive, pourtant si ancrée dans les murs des habitations, fait aujourd’hui l’objet d’un déni savamment entretenu par la population et orchestré par les autorités.

Deux aspects émergent de ce récit pudique, dont les conversations sont concises, centrées sur la logistique et le quotidien anecdotique, est émaillé à certains endroits de mots choisis, presque précieux, comme si le jeune auteur nous signifiait qu’il possède du vocabulaire. Le vocabulaire renvoie à l’éducation, à l’enseignement. Et au premier constat : aujourd’hui, il n’existe plus d’ enseignement de l’histoire, ni à l’école, ni dans les familles.

On ne peut dès lors que rendre hommage à l’ouvrage de Georges Bensoussan, Juifs en pays arabes, qui explore la position du dhimmi, dont la protection, accordée en terre d’islam, est assortie d’ une attitude ambivalente, une tolérance teintée de mépris, basculant brutalement dans une violence irrationnelle, qui n’est pas sans évoquer celle du Hamas, bien que celle- ci soit érigée en idéologie.

Le deuxième constat est l’absence totale de père, dans les trois générations qui partagent pour un temps donné le même espace. Figure à peine évoquée à la fin du récit, elle a peut-être choisi de se manifester par ce bruit étrange qui refuse de disparaître ,car en parler plus longuement soulèverait une rancœur enfouie, un inextinguible solde restant dû, réclamé à un homme dont l’intégration si parfaite lui permettait de se fondre parmi les Marrachis et d’échapper au statuts humiliant de minorité religieuse.

Reflet de la société actuelle, où le Patriarcat, devenu un concept abstrait, est dénoncé à l’envi sans discernement, ou inexistant face au matriarcat oriental, beaucoup plus puissant que la façade extérieure ne le laisse supposer.

Car les mères peuvent aussi être dures, méchantes, cruelles, dévorantes, arbitraires, envieuses.

Et les hommes sont élevés bien souvent et parfois exclusivement par leur mère.

Isabelle Telerman.

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