Le Maître du Haut Château est une fiction uchronique écrite par Philip K. Dick et publiée en 1962. Dans ce récit, nous sommes plongés dans un monde dystopique au sein duquel les forces de l’Axe gagnent la seconde guerre mondiale. Dick nous fait visiter un continent américain sous occupation allemande et japonaise ou constamment se pose la question : « et si notre réalité était autre ? ». Cet ouvrage recevra le prix Hugo, l’un des plus prestigieux prix récompensant les œuvres de science-fiction anglo-saxonne.
Philip K. Dick est né le 16 décembre 1928 à Chicago et décèdera le 2 mars 1982 à Santa Ana en Californie. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des très grands noms de la science-fiction de la seconde moitié du 20ème siècle. Plusieurs de ses ouvrages recevront d’ailleurs une ou plusieurs adaptations cinématographiques, notamment : Blade Runner, Minority Report, Planète Hurlante ou encore Totall Recall. Le Maître du Haut Château sera quant à lui adapté en série, produite par Amazon pour sa chaine de streaming.
L’œuvre de Philip K. Dick est parcouru par deux questions centrales : « Qu’est-ce que la réalité ? » et « Qu’est-ce qu’un être humain ? ». Rares sont ceux qui prennent le temps de se poser ces questions dont les réponses
peuvent nous sembler évidentes. Pourtant, notre rapport à la réalité est essentiellement subjectif et dépend de notre rapport personnel au monde. Les nazis ont tenté de déshumaniser juifs, tsiganes, personnes en situation de handicap, etc… mais finalement, ce seront les nazis qui deviendront l’archétype du mal et du monstre.
Aujourd’hui, les uchronies et dystopies nazies sont légions, que leur but soit de démontrer les horreurs du totalitarisme ou plutôt de tourner Hitler et le nazisme en dérision. La première particularité du Maître du Haut Château réside dans le fait qu’il est justement la première uchronie, écrite après guerre, au sein duquel les forces de l’Axe gagnent la guerre. Celui-ci est publié en 1962, soit seulement 17 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Un autre évènement important participe également à la rédaction de cet ouvrage : le procès Eichmann, qui se tiendra entre 1961 et 1962. Procès qui sera suivi par Hannah Arendt et qui sera à l’origine de son livre La Banalité du Mal. (voir notre article sur La Banalité du mal d’Hannah Arendt)
L’uchronie ne commence pas à la fin de la guerre, car le déroulement de celle-ci est déjà différent de la nôtre. En 1933, Guiseppe Zangara, assassine Franklin Roosevelt, ce qui mènera les USA dans la Grande Dépression. En 1941, l’ensemble de la flotte américaine est détruite lors de l’attaque de Pearl Harbor. En 1945, les nazis débarquent à Londres et terminent la conquête de l’Europe. Et pour finir en 1947 les Etats-Unis capitulent après la destruction de New-York et Baltimore sous le feu des missiles nucléaires japonais.
Le récit commence en 1962, soit 15 ans après la défaite des forces Alliés. Les États-Unis, où se déroule la majorité du récit, sont découpés en deux. L’est sous occupation allemande et l’ouest sous occupation japonaise. Allemand et Japonais, anciens alliés de guerre se retrouvent face à face…
L’une des grandes forces du livre est le rappel constant à notre monde, nous permettant de garder certains repères. La rivalité grandissante entre Allemagne et Japon est supposée nous rappeler la Guerre Froide. La Gestapo, l’Abwehr, les grands dirigeant nazis tels Goebbels ou Goering sont tant de noms censés nous aider à entrer dans cet angoissant monde totalitaire. Plus encore, les dissensions politiques au sein des différents dirigeant nazis sont également un rappel direct à notre monde. Le passionné d’histoire pourra ainsi facilement trouver des « repères historique » ou du moins leurs équivalents dans cet étrange univers.
En 1962, la très grande majorité des juifs ont déjà été assassinés par le régime nazi aidé des Japonais. Les populations noires sont quant à elle réduite en esclavage. Les quelques juifs restants se cachent sous de fausses identités et n’ont souvent gardé de juifs que leur ressentiment face à l’empire nazi. Mais alors une autre question nous taraude : a quoi sert encore la Gestapo ?
Le livre commence justement par le décès d’Hitler. Les autres dirigeants nazis se disputent alors la succession. La Gestapo quant à elle, demeure une force d’action possédant une forte influence politique. Mais un homme, vivant reclus dans son château a écrit un livre étrange, Le Poids de la Sauterelle. Ce livre parle d’un monde au sein duquel les nazis ont perdu la guerre et les alliés l’ont remporté. L’idée même que les nazis auraient pu perdre la guerre est un impensable pour ceux-ci. La Gestapo reçoit alors comme objectif de censuré et d’arrêter les possesseurs du livre.
Le lecteur supposera alors que cette mise en abyme parle de notre réalité. Mais il en est tout autre. Le monde décrit dans le Poids de la Sauterelle est très différent du nôtre, le seul point commun étant la défaite des nazis. Nous sommes ici confrontés à nouveau à cette question du statut de la réalité et de la non-binarité de celle-ci.
Un autre livre trouve une place très importante dans cet ouvrage, le Yi King ou Le Livre des transformations. Il s’agit d’un livre spirituel de divination d’origine chinoise, introduit au États-Unis par les japonnais à leur arrivé. La grande majorité des personnages non-nazis l’utilisent au quotidien. Ce livre ne donne pas de réponses toutes faites mais, invite plutôt à suivre un type de voie. Ces deux livres sont imbriqués, chacun donnant une vision différente de ce que pourrait être la réalité, tout en étant beaucoup plus proche qu’ils ne le laissent transparaître. Les différents personnages sont ainsi amenés à se demander si Le Poids de la Sauterelle correspondrait à une réalité auquel ils n’ont pas accès, de même que le lecteur ne saurait avoir accès à la réalité décrite dans l’ouvrage.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le talent que possèdent K. Dick à nous faire entrer dans ce monde aussi étrange que cohérent, un monde où sont constamment confrontés la logique très stricte des nazis à une spiritualité et une métaphysique qui invite à imaginer un monde autre. Cet ouvrage se terminera d’ailleurs sur ce questionnement qui parcourt l’ensemble de l’œuvre de K. Dick : « qu’est-ce que la réalité ?». Le Maître du Haut Château est un classique de la littérature de science-fiction uchronique et il est certain qu’il le restera encore longtemps.
Yonathan Kreisman
Pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Philip_K._Dick
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Maître_du_Haut_Château