Roy Lichtenstein. “Visions multiples”

Jusqu’au 18 avril le musée des Beaux-arts de Mons (BAM) expose Roy Lichtenstein, juif new-yorkais et figure de proue du Pop Art

Rassemblant une centaine d’œuvres (estampes, sculptures, tapisseries…) Roy Lichtenstein. “Visions multiples” met en valeur la variété de techniques et de supports utilisés par ce grand pop artist, qui déconstruit les codes établis de l’art, brouille les frontières séparant les beaux-arts de la culture des médias de masse et reste très présent dans la culture visuelle contemporaine. Issu d’une famille juive de l’Upper West Side, Roy Lichtenstein (1923-1997) suit des cours de peinture à l’Arts Students League.
En 1940, il étudie le dessin industriel à l’Université d’État de l’Ohio et admire le Guernica dans une exposition Picasso à Cleveland. Appelé à l’armée en 1943 et envoyé en Europe, il revient au pays suite au décès de son père en janvier 1946. Il termine ses études et enseigne le dessin à l’Université de l’Ohio. Marié et habitant Cleveland il va souvent à New York où il commence à exposer et s’attire l’intérêt de critiques d’art et de collectionneurs. Dans sa période «pré-Pop», influencé par Picasso, Max Ernst et Paul Klee, son travail explore l’histoire américaine, en particulier la conquête de l’Ouest, et les arts amérindiens.
De retour à New-York, il s’oriente vers l’expressionnisme abstrait, puis à partir de 1961, peint en s’inspirant de BD et imitant les points Benday des trames d’impression mécanique. Exposé dans la galerie Leo Castelli, il devient vite un protagoniste majeur du Pop Art new-yorkais.Comme le montre l’exposition montoise, ce travail pictural inspiré de la BD, contemporain de l’explosion de la société de consommation, représente une petite partie de l’œuvre complexe de l’artiste, fasciné par l’image imprimée et ses techniques de reproduction mécanique dont il fait sa principale source d’inspiration. En parallèle de sa peinture, il développe sa démarche d’expérimentation, travaille l’estampe, la sculpture, la céramique, le textile…, utilise de nouveaux matériaux tels que le Rowlux (un papier optique brillant utilisé dans ses paysages abstraits), crée des combinaisons de métal, de céramique et de plastique travaillés ou peints.Roy Lichtenstein. “Visions multiples”s’articule autour des grandes thématiques parcourant l’œuvre de cet artiste phare du Pop Art. Lorsqu’il s’inspire des comics, piliers de la culture visuelle populaire américaine, les sujets de référence de ses œuvres sont tirés de comics de guerre et de Romance Comics, les récits de guerre et d’amour en BD que consomme en masse la jeunesse des Fifties. Lichtenstein est intéressé par la forme et l’impact de la perception de l’image, non par le sujet, l’action ou la narration.
Extrayant une seule case du comic d’origine, il l’agrandit et reproduit « à la main » la technique typographique, créant une image bien plus puissante et complexe que l’originale. CRAK! (1963) s’inspire d’une vignette de BD publiée par DC Comics dans la série Star Spangled War Stories(#102,1966)


Son sujet féminin, Mademoiselle Marie, résistante armée est crée en 1959 par le scénariste Bob Kanigher, fils d’immigrants juifs de Roumanie, et Jerry Grandenetti, talentueux dessinateur italo-américain qui a été l’assistant de Will Eisner pour Le Spirit. Le triptyque As I Opened Fire(1964)est basé sur des vignettes de la BD « Wingmate of Doom » de Grandenetti, parue dans All-American Men of War (# 90, 1962). Mais, à côté de créations emblématiques de son inspiration BD, l’exposition nous montre d’autres sujets favoris de cet artiste, à la fois provocateur et minutieux: objets du quotidien et natures mortes, décors d’intérieurs, figures et nus féminins, paysages, œuvres inspirées de grands avant-gardistes (Van Gogh, Picasso,…). Pour Lichtenstein, les objets du quotidien représentent « une certaine anti-sensibilité qui envahit notre société ». Il explique : « J’aime représenter cette insensibilité qui imprègne la société et cette simplification à outrance. Le Pop Art aborde l’usage de la publicité et semble dépourvu de la moindre sensibilité en général, ou du moins dans les sujets que je traite. C’est ce manque de sensibilité et cette apparence conceptuelle de l’œuvre qui m’intéresse et m’occupe. » Les grandes estampes de sa série Interiors, figurent des scènes d’intérieurs, des lieux de vie inanimés et sans profondeur: « Tous mes sujets sont bidimensionnels ou du moins dérivent de sources bidimensionnelles. En d’autres termes, même lorsqu’ils représentent une pièce, il s’agit de l’image d’une pièce que j’ai tirée d’une publicité dans un annuaire téléphonique, qui est une source bidimensionnelle. » À partir de 1963, il réinterprète les maîtres et les thèmes des avant-gardes du XXe siècle, en se basant toujours sur des reproductions: «Je créais des dessins animés et d’autres images commerciales, et j’ai simplement eu l’idée que je pouvais faire un Picasso, le transformer en quelque chose de simple, qui pourrait être utilisé plus ou moins de la même manière que les objets d’art populaire.»Petit-fils d’immigrants juifs allemands. Lichtenstein ne parlait pas de ses origines. Mais sa judéité l’a façonné! Enfant, il vit l’antisémitisme dans son quartier de Manhattan et lorsqu’il étudie dans l’Ohio, l’hostilité aux Juifs l’incite à rejoindre une fraternité étudiante juive. À l’armée, il découvre l’art de dessinateurs juifs pionniers de la bande dessinée tels Jack Kirby et Irv Novick. Notons que son célèbre diptyque Whaam !(1963), à la Tate Modern,s’inspire d’une vignette dessinée par Irv Novick dans All-American Men of War(#89, 1962). L’original fait partie d’une séquence de rêve dans laquelle l’aviateur Johnny Flying Cloud, « l’as Navajo » de la Deuxième guerre mondiale, se voit affrontant des MiG-15 soviétiques en Corée. Son identité et son éducation ont donné Lichtenstein la vision du monde et la passion nécessaires pour faire tomber les barrières et les préjugés racistes dominant la société américaine de sa jeunesse. Le Pop art tend à élever vers l’art, la production vernaculaire (BD, publicité…) jusqu’alors méprisée par l’élite. Dans le choix de ses sources d’inspiration Lichtenstein a mis sur un pied d’égalité des dessinateurs de BD juifs ou italo-américains et Picasso. Venu de la marge, de l’extérieur, il a imposé son art provocateur sur le marché de l’art et figure aujourd’hui au Panthéon de l’art américain. Une «américanisation» très réussie, au point que rien dans l’exposition ne fait référence à son identité juive!

Roland Baumann

Exposition: Roy Lichtenstein. “Visions multiples” jusqu’au 18 avril 2021, du mardi au dimanche 10h à 18h. au BAM (Beaux-Arts Mons) 8 rue Neuve, 7000 Mons; http://www.bam.mons.be
http://www.polemuseal.mons.be/fr/bam-mons/events/roy-lichtenstein-visions-multiples-1
https://fr.wikipedia.org/wiki/Roy_Lichtenstein
https://www.youtube.com/watch?v=K8iGBre1fqM

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