Retrouver l’histoire juive de Coimbra, Portugal

Célèbre pour son université, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, Coimbra est aussi un haut-lieu de l’histoire juive. Dans l’ancien siège du tribunal de l’Inquisition, l’exposition « Juifs de Coimbra, de la tolérance à la persécution » nous plonge dans ce passé longtemps occulté.

Le plus ancien document attestant de la présence juive au Portugal est un contrat de 950 faisant donation à un monastère de bâtiments achetés à leurs propriétaires juifs et situés en pleine campagne, à Taveiro, sur la rivière Mondego, en aval de Coimbra. Les premiers écrits conservés citant les Juifs de Coimbra (1130-1139) font état d’un patrimoine communautaire : synagogue, cimetière, boucherie, auberge… La « Vieille Juiverie » (Judaria Velha), était un quartier étroit, construit à flancs de colline, à l’extérieur de la muraille d’enceinte de Coimbra. À l’Ouest, il occupait la pente abrupte descendant de l’actuelle Rua Corpo de Deus vers la Rua do Coruche (disparue après 1850 pour faire place à une large artère commerçante : la Rua de Visconde da Luz), et le monastère de Sainte Croix (Santa Cruz). Au 14e siècle, la communauté juive de Coimbra comprend un petit groupe de financiers, assurant la collecte des impôts et taxes que leur afferment le roi, la ville, ou les institutions ecclésiastiques. Médecins et grands marchands font partie de cette élite juive. Beaucoup d’autres sont artisans ou petits commerçants, surtout dans la chaussure et la maroquinerie. Certains Juifs de Coimbra sont des exploitants agricoles, dont les propriétés produisant du vin, de l’huile d’olive, des fruits, seront vendues au monastère de Sainte Croix.

La montée de la Rua Corpo de Deus, ancienne rue de la Vieille Juiverie, vue depuis la Rua Visconde da Luz


La localisation de la synagogue reste objet de débat. La plupart des chercheurs la situent à proximité de la chapelle du Corpo de Deus (« Corps de Dieu ») construite en plein cœur de la Vieille Juiverie et donnant son nom à la rue conservée de l’ancien quartier juif. Mais cette synagogue se trouvait peut-être plus bas, comme le suggère la présence d’un mikvé, découvert en en 2013 dans une maison de la Rua Visconde da Luz. Creusé dans la roche, à 3 m sous le niveau actuel de la rue, ce mikvé, a été épargné sous l’Inquisition et aussi par les travaux de percement de la Rua Visconde da Luz. Berta Duarte, commissaire de l’exposition « Juifs de Coimbra » explique : « C’est une découverte très importante, vu le peu de vestiges de la présence juive à Coimbra. Ce mikvé date d’avant l’abandon de la Judaria Velha par ses résidents juifs.

Le mikvé découvert dans la Rua Visconde da Luz (cliché « Judeus de Coimbra », musée communal de Coimbra)
Le mikvé découvert dans la Rua Visconde da Luz

On peut supposer que la synagogue se trouvait à proximité de ce mikvé, indispensables aux purifications rituelles ». Situé sur un important piétonnier de la ville basse, ce mikvé, est l’objet d’aménagements qui le rendront bientôt accessible aux visiteurs. La municipalité envisage aussi de créer un centre d’interprétation de la vie juive locale dans la maison qui abrite cet émouvant vestige du patrimoine juif. Le cimetière juif, ou almocávar, cité dans un document de 1139 (almocovara judeorum), se trouvait à l’extérieur de la « Juiverie », au bout de la Rua Corpo de Deus, le long de la muraille de la ville. Suite à l’édit d’expulsion des Juifs (1496), ce cimetière est rasé et son terrain vendu. En 1497, les frères João et Afonso Lopes, probablement nouveaux-chrétiens, l’achètent au représentant de la Couronne, chargé de la vente des biens juifs. Ces « conversos » achètent-ils le cimetière juif, pour préserver les pierres tombales en les retirant du site ? Le musée national Machado de Castro (MNMC) à Coimbra conserve dans ses réserves une pierre tombale ornée d’un pentagramme qui, selon B. Duarte, provenait peut-être du cimetière juif médiéval de Coimbra et fut ensuite réutilisée.

La chapelle du Corpo de Deus est construite au centre de la Judaria Velha, en réparation d’une prétendue profanation d’hosties, en 1361 ou 1362. Un retable en pierre polychromée, oeuvre du sculpteur João Afonso, daté de 1439, et installé dans la chapelle, est aujourd’hui exposé dans la salle de sculpture médiévale du MNMC. Deux anges agenouillés élèvent un calice duquel émerge l’hostie sur laquelle s’inscrit l’image de Jésus crucifié. Selon l’Agiológio Lusitano de Jorge Cardoso (1666), le Juif Iosef incite le jeune chrétien João à voler dans la cathédrale un calice d’argent contenant cinq hosties consacrées. Il se rend ensuite à la synagogue et, « proférant des blasphèmes », jette les hosties dans une casserole d’huile bouillante. Miracle : les hosties jaillissent de la casserole, intactes ! Stupéfait et furieux, le Juif brise les hosties dont il enfouit les morceaux sous des immondices, près de la synagogue. Informé, l’évêque de Coimbra se rend sur les lieux et retrouve les restes d’hosties profanées, aussitôt ramenés en procession solennelle. Une fois les coupables punis, une femme pieuse fait ériger une chapelle, communément appelée Corpo de Deus (Corps de Dieu) et devenue aujourd’hui « À Capella », lieu de concerts, consacré au Fado de Coimbra. Après 1370, les Juifs abandonnent le quartier sur ordre du roi, en guerre avec le royaume de Castille et qui veut faire renforcer le mur d’enceinte de la ville haute.

Le Pátio da Inquisição, cour de l’ancien palais de l’Inquisition et l’exposition « Juifs de Coimbra »

Exposition « Judeus de Coimbra » dans l’ancien palais du tribunal de l’Inquisition

La communauté s’installe alors dans la ville basse, près du monastère Sainte Croix, une zone souvent inondée par les eaux du Mondego. Cette population juive augmente suite aux pogroms de 1391 frappant les Juifs des royaumes de Castille et d’Aragon. Les habitants du Nouveau quartier juif exercent surtout des activités artisanales liées au petit commerce. Leur quartier s’étend jusqu’aux flancs de la colline où sera construit au XVIe siècle le Collège des Arts, vite occupé par le Tribunal de l’Inquisition. L’Inquisition portugaise, fondée en 1536, vise en particulier les « conversos », Juifs convertis de force après 1496. Ses tribunaux de Lisbonne, Coimbra et Évora exercent leurs juridictions sur les différentes régions du pays. Les pouvoirs du tribunal du Saint-Office ne se limitent pas au contrôle des pratiques religieuses mais s’étendent à la censure des livres, frappent la sorcellerie, la bigamie, l’homosexualité, exerçant de profondes influences politiques, culturelles et sociales. Seuls les bâtiments des tribunaux d’Évora et de Coimbra sont encore conservés.

Installé au Collège des Arts en 1566, le tribunal de Coimbra élargit bientôt ses locaux : les collèges jésuites de São Miguel et Todos-os-Santos sont réquisitionnés… Après la Visitation de 1592 et l’explosion du nombre de détenus, on augmente le nombre de cellules. Le bel édifice Renaissance du Collège des Arts, subit alors de profonds changements. La grande salle voûtée dans laquelle se trouve actuellement l’exposition sur les Juifs de Coimbra, était le grand réfectoire du Collège des Arts. Elle est partiellement transformée en chambre de torture ! B. Duarte remarque : « L’Inquisition de Coimbra a exercé sa domination avec férocité et étendu ses persécutions à un vaste territoire. C’est une tragique ironie qu’un si bel édifice, construit pour accueillir un enseignement humaniste, soit devenu un bastion de l’intolérance, une prison où ont été commises tant d’atrocités. Le tribunal du Saint-Office de Coimbra était compétent pour tout le nord et le centre du Portugal. Son pouvoir, surtout au XVIIe siècle, est quasi illimité : arrestations arbitraires, entraînant la torture et la confiscation des biens des suspects qu’une simple dénonciation, sans preuve, suffit à faire arrêter. La grande majorité des victimes du tribunal sont des nouveaux chrétiens, surtout des femmes, accusées de pratiques juives. L’Inquisition de Coimbra a enregistré plus de 11 000 cas! Quelque 200 conversos ont été exécutés lors des autodafés, sur la place de la ville. Beaucoup d’autres ont été condamnés à la confiscation de leurs biens, et après avoir croupis parfois durant de longues années dans les cellules du tribunal, ont été déshonorés en public, puis emprisonnés à vie ! » L’inauguration de cette exposition sur les Juifs de Coimbra, en 2021, bicentenaire de l’abolition du tribunal de l’Inquisition affirme la volonté de la ville de dialoguer avec les pages sombres de son histoire. Une autre partie de l’ancien siège du tribunal religieux est occupée par le Centre des arts visuels.

Anneau au plafond de l’ancienne salle de torture de l’Inquisition

L’université de Coimbra est aussi un important lieu de mémoire juive, en particulier suite au transfert définitif de l’université de Lisbonne à Coimbra (1537). De nombreux « conversos » font partie du corps enseignant, contribuant aux progrès de la médecine et des sciences, tels le mathématicien Pedro Nunes ou le botaniste Garcia da Orta. La Bibliothèque générale de l’université conserve des incunables juifs, telle la Bible hébraïque du célèbre Isaac Abravanel, financier, homme d’État et commentateur biblique, des œuvres de Abraham Zacuto, Amatus Lusitanus, ou encore d’Antonio Homem, professeur respecté de l’université de Coimbra, chanoine de la cathédrale et illustre érudit, accusé d’avoir créé une congrégation de crypto-juifs et brûlé vif à Lisbonne le 5 mai 1624. La bibliothèque conserve par ailleurs des archives documentant les activités du tribunal de l’Inquisition et ses autodafés…

Roland Baumann

Exposition : « Judeus de Coimbra. Da tolerância à perseguição. Memórias et materialidades. »

Pátio da Inquisição, 300-221 Coimbra

mardi-samedi 13-18h

https://www.cm-coimbra.pt/areas/visitar/ver-e-fazer/museus/museu-municipal

museu.minicipal@cm-coimbra.pt

Présentation de l’exposition « Juifs de Coimbra » par Berta Duarte (Portugais non sous-titré) https://www.youtube.com/watch?v=bHucP4KB4t4

Pour en savoir plus

https://en.wikipedia.org/wiki/Coimbra

https://en.wikipedia.org/wiki/Mikveh

https://www.jewishencyclopedia.com/articles/7906-host-desecration-of

Le musée national Machado de Castro https://www.patrimoniocultural.gov.pt/pt/museus-e-monumentos/rede-portuguesa/m/museu-nacional-machado-de-castro/

Concert de Fado de Coimbra dans l’ancienne chapelle, Rua Corpo de Deus

https://fr.wikipedia.org/wiki/Inquisition_portugaise

https://fr.wikipedia.org/wiki/Autodafé

Gravure représentant la ville de Coimbra par Frans Hogenberg vers 1598, publiée par Georg Braun dans « Civitates Orbis Terrarum », vol. V (1598) File:Coimbra (Braun – Hogenberg, 1598).jpg – Wikimedia Commons

https://fr.wikipedia.org/wiki/Université_de_Coimbra

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pedro_Nunes

https://fr.wikipedia.org/wiki/Garcia_de_Orta

https://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac_Abravanel

https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Zacuto

https://fr.wikipedia.org/wiki/Amatus_Lusitanus

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