Recension
Les mots de la tribu-Les cahiers Rouges-1966,Einaudi et Grasset.
Les voix du soir-Liana Levi-2019.
Le creuset familial reste la source inépuisable,matricielle de tout récit.Si ce n’est que cette narration démarre sans fioritures ou préliminaires quelconques.Le rideau se lève sur une dynamique familiale dont le lecteur- spectateur perçoit d’emblée l’étrangeté.Supposés supports de l’autorité, les parents apparaissent comme des marionnettes désarticulées, animés de mouvements brusques n’obéissant à aucune logique,échangeant des paroles sonnant comme des formules creuses et nullement accordées aux circonstances.
Ces échanges suggèrent une séquence cinématographique serrant de près les protagonistes, dont les dialogues ont des accents néoréalistes.
Doté d’une intelligence brillante mais d’un tempérament sanguin et imprévisible,qui ne suscite que de la frayeur auprès de sa progéniture, le père enseigne l’anatomie tout en restant étranger aux sciences du vivant et imperméable à toute empathie.
Son judaïsme ne consiste plus qu’en une fierté lointaine et diffuse de se considérer différents des autres et au choix de certains prénoms attribués traditionnellement aux femmes.
Face à lui, une épouse docile, évanescente, attachée aux convenances d’une vie bourgeoise et attentive à son apparence mais totalement démunie devant la nature et les besoins des membres de sa famille nombreuseAussi, les enfants se construisent- ils dans l’acceptation tacite de cette forme d’absurdité que peut constituer l’enfance,avec ce détachement particulier qui n’autorise aucun confidence et dès lors aucune proximité.Dans une description clinique des événements ( l’infiltration sournoise du fascisme dans les mentalités,la vacuité des discussions politiques, les parcours universitaires de ses frères), la narratrice trouve un refuge certain dans la poésie, seul territoire où le langage permette d’accéder et de traduire fidèlement l’intériorité.Cependant, elle reste très discrète sur ce que déclenche chez elle la rencontre avec l’Amour, en la personne de Leone Ginzburg, ami d’un de ses frères, antifasciste et fondateur d’une maison d’édition.
Pas plus qu’elle ne s’exprimera sur la tragédie qui détruira son mariage, à savoir l’assassinat de son époux emprisonné à Rome en 1944.Tout au plus, décrira-t-elle cet étrange attachement qui la lie à sa mère et dont elle reste surprise de l’intensité,cet ancrage inattendu qui illumine sa solitude,cette mère aux travers infantiles qui fait preuve de qualités relationnelles insoupçonnées à l’égard des enfants de ses enfants.Que représentent les Voix du Soir, si ce n’est des échos lointains,audibles seulement loin de l’agitation diurne,traces énigmatiques de ce qui fut jadis.L’attention est ici portée plus spécifiquement sur la distribution aléatoire des attractions, des unions fondés sur le malentendu,l’infirmité affective et l’impuissance langagière à décrire l’essence des aspirations.Ce qui pourrait apparaître comme un dénouement tragique est décrit, sous la plume de Ginzburg, comme une vicissitude du destin,une non- rencontre, une ridicule erreur de perspective qui ne résiste pas au rouleau compresseur de la vie quotidienne,enfermant dans un rituel rassurant ses victimes consentantes.
I.Telerman.