Groupe d’écoliers juifs devant la synagogue de Felsberg en 1936, parmi eux Max et Alfred Weinstein
À Felsberg – Gensungen (Hesse), un acte mémoriel récent montre la continuité du dialogue de l’Allemagne avec sa mémoire juive. Retour à la « Heimat » de Juifs bruxellois, descendants d’une vieille lignée juive hessoise, pour la pose de pavés de la mémoire. Une synagogue en restauration témoigne d’une renaissance de la vie juive dans cette campagne du centre de l’Allemagne, entre Francfort et Kassel, dans l’ancien Landgraviat de Hesse.
L’historien Dieter Vaupel explique : Les Weinstein habitaient le village de Gensungen, devenu aujourd’hui un quartier de la ville de Felsberg, à 25 kms au sud de Kassel. Le 8 octobre 2021, des « Stolpersteine » ont été placés par l’artiste Gunter Demnig devant la maison où vivaient Frieda et Julius Weinstein avec leurs fils Max et Alfred, Eppenbergstraße 7. Les descendants de ces derniers sont venus de Bruxelles pour assister à la pose de ces « pierres d’achoppement ». C’était pour eux un moment émouvant, en particulier pour Michelle Weinstein-Feiner, la fille d’Alfred, qui s’est longtemps battue pour la pose de ces pavés de mémoire dans le village de ses ancêtres. Depuis les années 1980, Vaupel fait des recherches sur l’histoire juive de localités du nord de la Hesse, telles que Felsberg, Gudensberg, Spangenberg. Il associe ses investigations au travail avec les étudiants. Longtemps enseignant, puis directeur d’une école polyvalente, collaborant à divers projets scolaires sur la mémoire juive, il est actuellement chargé de cours à l’université de Kassel. Il retrace la genèse de la cérémonie de Gensungen : À l’automne 2020, je reçois de Bruxelles un e-mail de Michelle. En recherchant les origines de ses ancêtres, elle a trouvé sur Internet mon livre sur la vie juive à Felsberg, qui vient de paraître, et découvert en couverture une photographie figurant son père, Alfred, et son oncle Max. Cette photo est prise en 1936 quelques mois avant la fuite de Max et Alfred avec leur mère à Bruxelles. Michelle veut réaliser un souhait que Alfred Weinstein a souvent exprimé avant son décès en 2010 : poser des pavés de mémoire devant l’ancienne maison familiale, à Gensungen, pour honorer la mémoire de son père, Julius qui n’a pas survécu au nazisme. Dieter correspond alors activement avec Michelle et d’autres membres de la famille Weinstein. Ils lui envoient de nombreux documents, qui, combinés avec ses recherches dans les archives municipales locales et celles de l’État de Hesse à Marbourg et Wiesbaden, lui permettent de reconstituer l’histoire des Weinstein qu’il retrace dans son livre Gensungen war ihr Heimat (2021), édité aussi en français par les Weinstein.
Le marchand de bétail Moses Weinstein et sa femme Therese Hammerschlag construisent vers 1900 une maison particulière dans la Schulstrasse de Gensungen. Leur fils Julius reprend le commerce de bétail paternel et épouse Frieda Gutkind, originaire de Frielendorf. Ils ont deux fils Max (1922) et Alfred (1925). Après 1933. Julius Weinstein doit vendre sa maison, sa grange et ses terres. En 1936, sa femme et leurs deux fils rejoignent des parents à Bruxelles. Julius reste à Gensungen avec sa mère octogénaire qui y décède en 1938. Après la Nuit de Cristal, Julius arrêté est envoyé à Buchenwald. Libéré, il revient à Gensungen et doit se cacher. Il meurt à l’été 1939, probablement suite aux violences endurées à Buchenwald. Il est enterré au cimetière juif de Felsberg. Frieda Weinstein et ses fils fuient Bruxelles en mai 1940, mais sont séparés durant l’exode : Frieda et Max se cachent dans un petit village du sud de la France avec l’aide de la Résistance, qui leur fournit de faux papiers. Alfred se réfugie en Suisse au terme d’un parcours tumultueux. À la fin de la guerre, tous se retrouvent à Bruxelles. Dans l’après-guerre, Max et Alfred reviennent plusieurs fois à Gensungen pour en savoir plus sur le sort de leur père dont ils cherchent en vain la tombe dans le cimetière dévasté par les nazis et dont un tailleur de pierre a emporté une partie des pierres tombales.
Le 8 octobre 2021, la famille Weinstein venue de Bruxelles, assiste à la pose des Stolpersteine dédiées à Julius et Frieda Weinstein, ainsi qu’à leurs fils Max et Alfred. Cette cérémonie voit la participation d’élèves des écoles locales qui se sont préparés à cet acte mémoriel et dont les travaux évoquent le parcours des Weinstein : œuvres d’art, affiches, clips vidéo, exposés et lecture de dialogues fictifs avec les Weinstein… Laurent Weinstein, fils de Max, exprime son émotion au nom de toute la famille et Michelle se déclare très touchée par cette évocation de l’histoire de sa famille à laquelle contribuent tous ces jeunes qui se font porte-voix de la mémoire de ses ancêtres et se plongent dans l’histoire juive locale. Avec cette cérémonie, ce sont 18 pierres d’achoppement qui ont été posées jusqu’à présent sur le territoire de Felsberg.

Felsberg, un nouveau centre de vie juive en Hesse
Située à un peu plus d’un kilomètre de Gensungen, de l’autre côté de la rivière Eder, Felsberg est une petite ville médiévale, dominée par les ruines du Felsburg, château fort érigé sur une crête de basalte de 200 m de haut, afin de contrôler le passage du gué sur la rivière par où passait une route du sel. Une présence juive à Felsberg est attestée au 16ème siècle. Mais c’est au au 18ème siècle que s’y forme une communauté juive. En 1773, celle-ci compte neuf familles soit un total de 26 personnes. En 1885, 179 Juifs habitent Felsberg dont ils constituent 20 % de la population. La plupart sont marchands de bétail, bouchers, cordonniers ou commerçants. Un mikvé est construit vers 1820. Les offices se déroulent dans un oratoire jusqu’en 1847, lorsque la communauté fait construire une synagogue (100 places pour les hommes et 80 pour les femmes) dans la Rittergasse, aux pieds du Felsburg. Felsberg a aussi son heder, école juive située dans la Obergasse, de 1826 à 1931. Un nouveau cimetière juif s’ouvre dans les années 1860. La communauté, bien intégrée à la société locale, compte différentes associations et un mouvement de jeunesse. Après 1933, la plupart des Juifs de Felsberg quittent la petite ville et parviennent à émigrer. La synagogue sert de lieu de culte jusqu’à la Kristallnacht, qui, à Felsberg, commence le 8 novembre 1938. Elle est profanée, mais le bâtiment reste intact. Après 1945, il sert de salle de sport, de garde-meubles, puis, devient un pizzeria !
L’ingénieur Christopher Willing est co-fondateur de la communauté libérale Emet weShalom, créée à Kassel en 1995, et président de la Verein zur Rettung der Synagoge Felsberg, l’association pour le sauvetage de la synagogue de Felsberg dont les projets veulent faire de la petite ville un foyer du judaïsme réformé, ainsi qu’un lieu d’art, de recherche historique sur le judaïsme et de dialogues multiculturels. Oeuvrant depuis près de 15 ans au sauvetage de l’ancienne synagogue, cette association est parvenue à rassembler les fonds nécessaires au rachat de l’édifice à l’abandon puis au démarrage du chantier de restauration de cet important lieu de culte du judaïsme hessois. Les campagnes de collectes de fonds sont toujours d’actualité pour achever ces travaux de restauration : refaire le plancher, le mobilier, le sanctuaire de la Torah, etc. Et il faut aussi réhabiliter la « maison Weinstein » (Obergasse 29), proche de la synagogue et dédiée à Robert Weinstein. L’un des rares Juifs à n’avoir pas quitté Felsberg et gravement malade,, il est tiré de son lit par les nazis le 8 novembre 1938 et promené dans les rues où il s’écroule, frappé d’une crise cardiaque. Il est la première victime de la Nuit de Crystal. La ville de Felsberg a honoré sa mémoire, inaugurant en 2013 une place portant son nom. La maison Weinstein servira de maison d’hôte pour les visiteurs de la synagogue : artistes, écrivains et chercheurs, allemands ou internationaux auront le loisir d’y faire des résidences. Cette imposante maison à colombages est reconstruite en 1648 après sa destruction dans la guerre de Trente Ans. Sa cour-jardin donne accès à une cave voûtée du XIIIe siècle. Les propriétaires juifs de cette demeure historique sont spoliés en 1933.

En 2014, les enfants des propriétaires décédés de la maison en font don à l’association pour le sauvetage de la synagogue. Christopher Willing remarque : Cette maison doit être rénovée et nous espérons qu’elle le sera bientôt. Elle servira de petite salle de réunion pour la congrégation Emet weShalom et logera des artistes en résidence ainsi que les groupes de jeunes des États-Unis, de Pologne et d’Israël qui viendront visiter la synagogue. Un architecte a été engagé et les plans de rénovation sont prêts : à côté d’une petite salle de réunion, il y aura un café avec un petit jardin extérieur, un lieu pour de petites expositions et un atelier. Willing entrevoit la réalisation prochaine de ces projets de renouveau juif à Felsberg. Pour lui, l’engagement des jeunes de la localité dans la pose de Stolpersteine à Gensungen témoigne d’une véritable prise de conscience collective du passé juif dans cette région du Nord de la Hesse.
Roland Baumann
Pour en savoir plus :
– Felsberg Synagogue Center, Ritterstrasse 3, 34587 Felsberg
– Verein zur Rettung der Synagoge Felsberg, Schönbergstraße 3, 34587 Felsberg Stadtteil Gensungen :
https://www.synagogue-center-felsberg.org/?lang=en Email : info@synagogue-center-felsberg.org
https://www.xn--jdische-gemeinden-22b.de/index.php/gemeinden/e-g/610-felsberg-hessen
Biographie de Dieter Vaupel et présentation de ses recherches sur l’histoire juive en Hesse – https://de.wikipedia.org/wiki/Dieter_Vaupel
– https://dieter-vaupel.jimdofree.com/
– liste des premières Stolpersteine placées à Felsberg en 2015-2017 : https://de.wikipedia.org/wiki/Liste_der_Stolpersteine_in_Felsberg