Judaïcausette avec Rachel Samoul

Née à Aix-en-Provence dans une famille originaire d’Algérie, Rachel Samoul part à 18 ans en Israël où elle étudie l’Histoire et le théâtre à l’Université hébraïque. Elle travaille au Musée Beit Hatfutsot (Anu), puis conçoit des jeux pour enfants avant de partir en Belgique en 1998. Responsable de la promotion de la culture israélienne à l’Ambassade d’Israël, elle publie, en parallèle, son premier livre : « Bouquet de coriandre ». De retour en Israël en 2008, elle ouvre, avec son mari, 2 magasins « Palais des Thés » et crée son blog amoureux d’Israël : le célèbre Kef Israël.

DEFINITION : Quelle serait votre définition de la culture juive ?

Pour moi, la culture juive passe beaucoup par la langue hébraïque et par la Bible. De la langue partent tellement de choses. Le fait que les mots hébreux reposent sur des racines, que ces racines permettent de faire des jeux des mots, que ces mots mènent à la kabbale : tout cela me fascine ! Tout comme le fait que cette culture, basée sur le texte, puisse être perpétuellement interprétée : je dirais que la culture juive est la culture de l’interprétation. J’aime aussi le dialogue, toujours présent, entre l’aspect spirituel et le côté ludique des choses. Les rites en témoignent : Pessah est une fête pour les enfants dans laquelle les grands s’amusent tout autant !

RESSENTI : Comment définiriez-vous votre culture juive ? Comment la vivez-vous ?

Le fait d’avoir vécu en France, en Israël, en Belgique puis de nouveau en Israël, m’a aidé à comprendre l’importance, pour moi, de vivre ici : pour la richesse de l’hébreu donc mais encore, pour l’adéquation avec le temps juif. J’aime sentir, par exemple, l’arrivée de shabbat, le vendredi après-midi. Bien que Tel Aviv soit considérée comme laïque, on sent littéralement la ville s’apaiser et cette sensation est magnifique. Sans vraiment être religieuse, j’essaye de lire la paracha de la semaine : le sens traverse les siècles et les ponts avec l’actualité sont infinis.
Je vis au rythme des fêtes qui ponctuent l’année et c’est toujours un plaisir d’entendre la radio annoncer l’arrivée de Pourim ou de Pessah. Le quotidien a quelque chose d’effervescent ! Autre illustration du temps hébraïque : mon agenda indique le 14 février 2022 en parallèle du 13 du mois de Adar 5782. Il m’importe d’avoir ce double repère. Je vois de plus, que c’est la pleine lune ce soir. Et cette lune me lie simultanément à la culture juive ainsi qu’à quelque chose de plus grand, de l’ordre de l’univers.

MUSIQUE : Quels sont vos musiciens « de prédilection » ?

J’aime beaucoup la variété israélienne, l’actuelle notamment, et le fait que ces chansons populaires sont souvent tirées de textes bibliques. Etti Ankri a repris, il y a quelques années, des textes de Yehuda Halevi et en a fait de magnifiques chansons. Je pense aussi au répertoire d’Ishay Ribo, à la fois très accessible et tellement riche de références ; Je citerais encore le registre judéo-andalous de Neta Elkayam, qui a grandi en Israël mais qui a renoué avec ses origines, celles de ses grands-mères et arrière-grands-mères qui vivaient au Maroc. Je trouve ce voyage dans le temps et dans l’espace fascinant. Elle figure d’ailleurs dans la playlist que je crée pour Kef Israël !

LITTERATURE : Quels auteurs / titre(s) de livre(s) qui vous ont-ils touchée ?

Je proposerais un détour vers des auteurs un peu moins connus, comme Marcel Cohen, par exemple. Il est édité chez Gallimard et a écrit beaucoup de petits textes et de nouvelles dont « Sur la scène Intérieure, Faits ». C’est vraiment un beau livre. Je songe au dernier livre de l’auteure israélienne Yaël Neeman : « Elle était une fois ». Je l’avais lu en hébreu avant qu’il ne soit traduit en français – Agnès Bensimon l’a chroniqué dans Kef Israël. Il est fort intéressant ! Il y a Ida Fink aussi, qui a vécu la Shoah et qui s’est établie ensuite en Israël. La retenue de son écriture rend ses nouvelles sur la Shoah bouleversantes. Quelques titres ont été traduits en français.
J’ai aussi été marquée, lorsque j’étais très jeune, par « Le Monde d’hier », un essai de Stefan Zweig : plus je le relis, plus « ce monde d’hier » me semble d’actualité… J’affectionne aussi toute l’œuvre de mon amie Esther Orner qui n’est pas reconnue à sa juste valeur ; Enfin, parmi les classiques israéliens, je citerais encore Samuel Joseph Agnon dont le texte, hélas, perd beaucoup dans la traduction. Les différents niveaux de lecture d’un mot ou d’une phrase en hébreu n’ont pas d’équivalent en français. Je pense à lui parce qu’il est décédé un 17 février et que je lui consacre un texte sur Kef Israël.


ARTS PLASTIQUES : Un peintre, sculpteur, artiste, œuvre …

En Israël, j’aime beaucoup les œuvres de Dani Karavan qui a récemment conçu la place Habima : ses sculptures s’intègrent harmonieusement dans l’espace. Il a également créé un très beau monument en hommage à la Brigade du Néguev à côté de Beersheva. C’est une œuvre totale : le vent s’engouffre dans la sculpture, l’eau en est un autre élément symbolique et fort. Et puis, je ne l’ai vue qu’en photos mais, j’aimerais bien découvrir l’œuvre qu’il a dédiée à Walter Benjamin à Portbou, en Espagne. Ces escaliers qui descendent vers la mer semblent magnifiques. Sinon, il y a aussi Christian Boltanski. Le rapport qu’il établit entre la présence, l’absence et la mémoire, me touche. Enfin, je suis allée récemment dans le Sud d’Israël où j’ai découvert, dans la synagogue de Maon, à la frontière de Gaza, une mosaïque du VIème siècle. Elle présente une ménorah, un texte en araméen, un paon, c’est un magnifique travail. L’auteur inconnu, de cette mosaïque, serait aussi celui de la mosaïque qui se trouvait dans une église à proximité. Pour la petite histoire, des soldats australiens, présents durant la 1ère Guette mondiale, l’ont emportée avec eux. On peut donc la voir aujourd’hui au Mémorial de la guerre à Canberra, en Australie ! Je suis passionnée de mosaïque et plus précisément de mosaïque byzantine, en Israël. J’ai d’ailleurs écrit un manuscrit à ce sujet.

7EME ART : Quels films, réalisateurs.trices /comédien.ne.s, vous reviennent-il en mémoire ?

Ronit Elkabetz représente, pour moi, l’essence du cinéma israélien. Son frère, Shlomi, vient de lui consacrer un film qui, paraît-il, est formidable. Tous les films dans lesquels elle a joué m’ont impressionnée : « Gett/ Le Procès de Myriam Amsalem» , « La Visite de la fanfare », etc. Sinon, il y a aussi Woody Allen, pour ses névroses et son humour. Et si on remonte plus loin dans le temps, à propos d’humour, je citerais Ernst Lubitsch. Quelle légèreté intelligente !

PENSEE JUIVE : Etes-vous proche de la/d’une pensée juive /d’un.e philosophe ?

J’ai été interpelée par le livre du rabbin Abraham Joshua Heschel « Les Bâtisseurs du temps » : il gagne vraiment à être lu. Il y a aussi le livre d’Emil Fackenheim : « La Présence de Dieu dans l’histoire : Affirmations juives et réflexions philosophiques après Auschwitz ». L’auteur avance, qu’en tant que Juif, on n’a pas tellement d’autre choix que de continuer à être Juif – sinon Hitler aurait gagné. Au-delà des exterminations perpétrées à Auschwitz et des autres massacres juifs de l’Histoire, sa réflexion porte aussi les assimilations au fil du temps : beaucoup de Juifs, au Moyen-Age, par exemple, se sont convertis pour sortir de l’oppression. Donc finalement, nous sommes les héritiers de minorités qui se sont accrochées. Et je me sens une responsabilité vis-à-vis de mes ancêtres : je veux, j’essaye, de continuer cette chaîne. Ce qui explique aussi pourquoi je suis en Israël. Il m’est plus facile de vivre ici le temps et la langue hébraïques. Durant des milliers d’années, on a martelé : « L’an prochain à Jérusalem » alors aujourd’hui que c’est possible, je veux faire partie de cette occasion historique et m’inscrire dans cette histoire-là.

SOUVENIR : Pourriez-vous nous confier un moment de partage et de joie de culture juive ?

Je me souviens de la préparation des gâteaux de Pourim avec ma grand-mère et mes tantes, à Aix-en-Provence. Une communauté de femmes s’afférait alors, dans la cuisine. Elles parlaient de toutes sortes d’histoires, de leur jeunesse notamment, et cela a été très formateur pour moi – comme dit une amie : « les commérages, c’est le début de la littérature » ! Cet antre était fort chaleureux et des expressions judéo-arabes fusaient. J’évoque cette ambiance dans mon livre « Bouquet de coriandre » : la nouvelle « Les cigares de ma mère » (le gâteau) restitue cela. Ma culture et mon rapport à mon histoire familiale se sont aussi forgés dans ces moments-là. De mes racines algériennes, il m’est resté des rites – sont-ils juifs, non juifs ou païens – auxquels je suis restée attachée, comme jeter un verre d’eau par la fenêtre lorsqu’un proche part en voyage… Pour être sûr qu’il revienne. Et donc, lorsque mon mari partait à l’étranger, avec les enfants, on lui jetait un verre d’eau de la maison. On dira ce qu’on voudra mais ça a fonctionné !

A.K.

Retrouvez Rachel Samoul sur son blog : www.kefisrael.com
A lire : Bouquet de coriandre : www.kefisrael.com/achetez-bouquet-de-coriandre/
Sa récente sélection musicale : www.open.spotify.com/playlist/24VWGBGKZIzrNPWAdeGu83?si=iFEnVVwIThe4oVrwd59tdg

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