Judaïcausette avec Albert Aniel

Né à Bruxelles en 1959, formé en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, Albert Aniel est photographe mais encore, un artiste qui privilégie les projets de longue durée. Il s’exprime, au gré de ses approches documentaires et conceptuelles, à travers la photographie, l’audio et la vidéo.

DEFINITION : Quelle serait votre définition de la culture juive ?

Pour moi, la culture juive tourne autour de la loi – les 10 commandements, la Torah, le livre de la loi par excellence – et de ses interprétations. C’est ce qui fait la spécificité et l’intérêt, à mon sens, du judaïsme. Toute lecture de texte suscite des questions dont les réponses sont elles-mêmes remises en cause, puis à nouveau analysées, etc. Freud s’en est inspiré en inventant la psychanalyse. La culture juive m’apparaît dès lors comme un rapport au questionnement – Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? – transposé au cinéma, au théâtre, dans la littérature, etc. On puise un élément qu’on interprète.

Je pense, par ailleurs, à Simcha Torah, la fête de la Torah, une fête où on prend la Torah dans ses bras pour danser avec elle : ce qui revient à danser avec la loi ou à jouer avec la connaissance. Or, la danse – avec un partenaire ou en l’occurrence, ici, avec la Torah – touche à l’intime. Balancée de haut en bas et de bas en haut, le rapport du porteur à la Torah change constamment, offrant de nouvelles perspectives, soit autant de points de vues différents. Je trouve cette conception, cette image, très représentative du judaïsme.

RESSENTI : Comment définiriez-vous votre culture juive ? Comment la vivez-vous ?

Je m’inspire de lectures, de travaux artistiques et d’autres éléments pour construire mes propres interprétations que je traduis en images ou en sons. Je ne suis pas nécessairement croyant mais je suis un mystique. Je m’intéresse à la nature des esprits, d’un point de vue bouddhiste, par exemple, à la nature de l’esprit différencié du corps. Il m’arrive également de fréquenter – occasionnellement – les synagogues. Petit à petit, je me familiarise avec ses rituels. Je lis toujours mal l’hébreu, que je ne comprends pas, et me reporte donc sur le texte français. J’aime ressentir l’émotion qui me traverse à ce moment-là et explorer mes pensées spontanées. Ces sensations m’intéressent et sont également sources d’inspiration dans mon travail artistique.

MUSIQUE : Quels sont vos musiciens « de prédilection » ?

Quand j’aime la musique, j’aime la musique, juive ou pas juive : c’est une question que je ne me pose pas ! J’aime la musique anglo-saxonne – je ne suis pas très chanson française – et j’ai été et suis encore bercé par le rythm and blues. Disons qu’on pourrait éventuellement qualifier un musicien de juif, par rapport à une certaine démarche. Quand j’écoute ou quand je vois, par exemple, Amy Winehouse, je la trouve très juive dans sa façon de chanter, de se présenter ou dans l’émotion qu’elle dégageait ; Je pense également au musicien sud-africain Johnny Clegg. Je trouvais sa musique sympa, j’ai toujours aimé la World-Music. J’ai été surpris d’apprendre qu’il était Juif, j’ai trouvé cela incroyable qu’un blanc s’intéresse à la musique zouloue et soit reconnu comme le zoulou blanc ! En même temps, je ressens aussi une sensibilité juive dans cette démarche. J’aime encore Philip Glass et la musique contemporaine. Alors que la musique relève de l’art de l’instant – quand on joue, quand on produit un son, on n’est pas dans son interprétation – la photo, elle, se fait en deux temps : il y a d’abord la prise de vue puis l’observation… Photographier les musiciens, m’a permis de saisir ces nuances.

LITTERATURE : Quels auteurs, ouvrages, vous ont-ils particulièrement touché ?

Je pense à Philip Roth, Le complexe de Portnoy, à Paul Auster, Moon Palace ; J’aime bien Patrick Modiano, le style de ses nouvelles : ça vit, ça me plaît ! Quand j’étais plus jeune, je lisais Albert Memmi ; aujourd’hui, j’évolue plutôt dans la littérature japonaise. Je viens de terminer « Ame brisée » d’Akira Mizubayashi : un livre formidable !

ARTS PLASTIQUES : Un.e peintre, sculpteur.trice, artiste, œuvre…

Je pense aux travaux de photos évidemment ! Je citerais Diane Arbus, Richard Avedon – je ne suis pas certain qu’il soit Juif -, Cindy Sherman, je les trouve intéressants. Je pense aussi, en peinture, à Mark Rothko ainsi qu’à quelques peintres contemporains américains dont les noms m’échappent. Amedeo Modigliani : c’est très bien !

7EME ART : Quels films, réalisateurs.trices, documentaires, vous reviennent-il en mémoire ?

Je trouve le cinéma israélien très intéressant. Si les cinéastes pouvaient prendre la place des politiciens en Israël, les choses iraient beaucoup mieux ! Je suis rarement déçu des films israéliens qui se démarquent, à mon sens, par leur rythme. Ils reflètent une ambiance que je ressens en Israël, à savoir une société qui vit l’instant et « c’est l’instant tout le temps » ! Ils sont tout le temps en mouvement ! Il n’y a pas un moment où on peut un peu se relaxer mais au cinéma, on a justement besoin de l’instant qui sous-tend aussi le jeu de l’acteur. Et donc, ça ne m’étonne pas qu’ils soient très forts là-dedans. Je trouve leurs thématiques aussi intelligentes et finalement très juives. Les problématiques abordées dans ces films concernent aussi bien les Juifs de la diaspora que les Israéliens et inversement. J’apprécie ce cinéma de qualité, notamment au niveau de sa démarche. Evidemment, il y a les Américains ! De nombreux Juifs ont créé et ont travaillé à Hollywood : Steven Spielberg, Stanley Kubrick (il semble néanmoins qu’il ait eu un rapport difficile avec le judaïsme) ou encore Paul Mazursky. Woody Allen et ses satires me faisaient rire quand j’étais plus jeune, maintenant un peu moins, il est devenu répétitif. Mel BROOKS, c’était rigolo!

PENSEE JUIVE : Etes-vous proche de la/d’une pensée juive /d’un.e philosophe ?

Je me réfèrerais à ma famille car je la trouve exceptionnelle, romanesque et inspirante. Mordechaï Anielewicz, qui a coorganisé le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, en est un membre illustre et héroïque. Mon nom a depuis été «coupé »… Je pense aussi à un oncle, chanteur d’opéra, qui n’avait pas réussi à fuir en Suisse pendant la guerre et qui a été reconnu, par hasard, à Lyon, par l’intendant de l’opéra. Il s’est retrouvé embauché à l’opéra de Lyon, sous Pétain ! Voilà encore un destin improbable ! Et puis, j’avais aussi un autre oncle dont le commerce marchait très bien en Belgique. Du jour au lendemain, il a mis la clé sous la porte pour réaliser le rêve de sa femme qui voulait devenir vedette de cinéma à Hollywood. Ils ont traversé l’Atlantique et elle n’est pas devenue une star mais quel cran quand même ! De nombreux membres de ma famille paternelle ont pris la route des Etats-Unis dans les années 50…

Et donc pour moi, ces parcours singuliers s’inscrivent dans une démarche très juive qui est le fait de faire. Tous ont agi. Ces exemples familiaux m’ont poussé à me réaliser, tant dans mon travail de création que dans ma vie personnelle. Je fais en sorte de concrétiser mes désirs.

SOUVENIR : Pourriez-vous nous confier un moment de partage ou de joie de culture juive ?

C’est difficile à dire car ce sont soit des moments partagés sur le vif, soit des moments intimes. J’aime aussi lorsque des situations absurdes sont mises en exergue et qu’elles prêtent à rire. C’est une tournure d’esprit tellement typique, une forme d’humour caractéristique et heureusement souvent partageable avec tous et chacun.

Au niveau personnel, je pense à ma bar-mitsvah, un engagement que j’avais alors pris en mon âme et conscience, sans pression familiale. Je retiens, avec émotion, le moment où mon père m’a béni. Ma mère étant décédée quand j’étais très jeune, j’ai senti à travers les mains de mon père posées sur ma tête, un soutien bienveillant, un pilier, une force dont j’avais besoin pour avancer dans la vie. Cette transmission, qui sait, cette bénédiction, m’habite encore à ce jour.

A.K.

Retrouvez Albert Aniel…en divers endroits :
https://auschwitz.be/images/_expertises/2019-van_praag-albert_aniel.pdf
https://albert-aniel.squarespace.com/
Avec un projet en cours :
https://albert-aniel.squarespace.com/le-quartier-du-triangle Le quartier du triangle, une histoire d’un quartier pas comme les autres.

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