Helmut Newton : Photographie, mode et érotisme

Courtesy Helmut Newton Foundation, Berlin

L’exposition Helmut Newton Legacy à Knokke-Heist met en valeur l’oeuvre d’un célèbre photographe du 20e siècle dont les images souvent controversées révolutionnèrent l’imaginaire de la mode. Les débuts de la carrière de ce juif berlinois sont l’objet d’une autre exposition au musée juif de Melbourne.

Conçue par la Fondation Helmut Newton de Berlin, Legacy rassemble plus de 300 images emblématiques du grand artiste photographe, exposées dans le nouveau centre communal Ravelingen, en face de la gare de Heist. L’oeuvre d’Helmut Newton (1920 – 2004) est liée à l’explosion de la photographie d’avant-garde et de la presse illustrée à Berlin, sous la république de Weimar. Fuyant l’Allemagne nazie, l’apprenti photographe s’exile à Singapour, puis se retrouve à Melbourne, où il ouvre un studio photo. Photographe de mode novateur, il est remarqué par Vogue. Ses images, prises dans l’espace public et non en studio, sont souvent narratives. Grâce aux magazines de mode, l’art d’Helmut Newton touche un vaste public international. Durant les Sixties, à l’heure de la contre-culture et la révolution sexuelle, son style s’affirme. Ses images évoquent un imaginaire érotique. Transgressives, elles associent l’élégance au voyeurisme, se jouent des conventions et des tabous… Dans les années 1980, Newton s’établit à Monte Carlo et parcourt le monde, travaillant avec des mannequins, des vedettes de cinéma et pour de grandes marques comme Chanel, Thierry Mugler ou Yves Saint Laurent. Mondialement célèbre, ses images sont exposées en galerie, au musée, publiées dans des livres photo appréciés des amateurs d’art photographique. Les biographies de Newton négligent trop souvent les racines juives du photographe et le contexte difficile dans lequel il créa son art.

0006-016 13942-49 Mario Valentino, Monte Carlo, 1998

Helmut est né dans une famille juive de Schöneberg à Berlin, fils de Klara Marquis et de Max Neustädter, propriétaires d’une fabrique de boutons. Selon Newton, le père de sa mère, immigré en Amérique fait la guerre de Sécession dans l’armée nordiste et devenu citoyen américain change son nom, de Markiewicz en Marquis. Il retourne ensuite à Berlin et fait fortune dans la publicité. Helmut fréquente le Heinrich von Treitschke Real Gymnasium et l’école américaine de Berlin. À 12 ans, il achète son premier appareil photo. En 1936, il entre en apprentissage chez la photographe Yva, alias Else Ernestine Neuländer (1900-1942). Yva ouvre son studio photo (1925). Portraitiste et photographe de mode très demandée, ses images paraissent dans les grands périodique allemands tel l’hebdomadaire Berliner Illustrirte Zeitung (BIZ) publié par les éditions Ullstein. Connue aussi pour sa photographie de nu, Yva travaille aussi dans la publicité. Citons son travail promotionnel pour la crème hydratante Amor Skin. Maître de la photographie surréaliste, Yva fonde cette image publicitaire sur la photographie avec exposition multiple, technique qu’elle maîtrise parfaitement, exposant jusqu’à sept fois une même plaque photographique, créant des images irréelles et oniriques. Yva participe à des expositions internationales : Film und Foto (1929), Das Lichtbild (1930) et la biennale photo de Rome (1932). En 1933, elle est au salon international de la photographie de nu à Paris (« La Beauté de la femme ») et à l’exposition The Modern Spirit in Photography de la Royal Photographic Society de Londres. En 1934, Yva épouse Alfred Simon. En 1936, elle confie la direction de son studio à une amie « aryenne » afin que l’entreprise puisse poursuivre ses activités. Yva engage alors Helmut Neustädter. D’abord apprenti, il devient son assistant. Yva pense émigrer, après avoir reçu une offre d’emploi du magazine Life à New York mais son mari l’en dissuade. En 1938, interdite de pratiquer la photographie, suite à de nouvelles mesures antisémites, Yva doit fermer son studio. Elle devient assistante au service de radiographie de l’hôpital juif de Berlin. En juin 1942, Yva et son mari, qui se préparent à émigrer, sont arrêtés, déportés à Lublin, et assassinés. Eleni Papavasileiou commissaire de l’exposition au musée juif de Melbourne, remarque : Yva a exercé une profonde influence sur Helmut. Il a passé plusieurs années avec elle dans son studio à aprrendre son art et à comprendre le travail photographique d’Yva pour lequel il était plein d’admiration, comme il l’exprime dans son autobiographie. Helmut savait dès son plus jeune âge que sa vocation était la photographie. Il était passionné de cinéma, mais jugeait que faire carrière dans le cinéma lui prendrait trop de temps. Il était pressé de réaliser ses projets et de se faire connaître, ce qu’il fit dans la photographie de mode, d’abord à Melbourne, puis à Londres et à Paris.

Suite aux lois antisémites de Nuremberg, Max Neustädter perd le contrôle de son usine de boutons. Il est jeté dans un camp de concentration après la Nuit de cristal, ce qui contraint la famille à quitter l’Allemagne. Les parents d’Helmut se réfugient en Argentine. Lui vient d’avoir 18 ans et obtenant un passeport, il quitte l’Allemagne le 5 décembre 1938. À Trieste, avec des centaines de réfugiés, il s’embarque pour la Chine. Arrivé à Singapour, il décide de s’y établir, d’abord comme photographe du journal Straits Times, puis comme portraitiste. Interné par les autorités britanniques comme citoyen allemand, il est envoyé en Australie sur le Queen Mary. Arrivés à Sydney le 27 septembre 1940, les internés sont transférés au camp de Tatura, dans l’État de Victoria. Libéré en 1942, Helmut travaille comme cueilleur de fruits, puis en août 42, s’engage dans l’armée australienne où il est chauffeur de camion. Devenu citoyen australien, il change son nom en Newton (1946). Il épouse l’actrice June Browne (1948), plus tard photographe à succès sous le pseudonyme d’Alice Springs.

Courtesy Helmut Newton Foundation, Berlin

Newton ouvre un studio dans le quartier de Flinders Lane à Melbourne et travaille dans le domaine de la mode, du théâtre et de la photographie industrielle. En 1953, il expose avec Wolfgang Sievers (1913-2007), lui aussi réfugié juif allemand. Leur exposition « New Visions in Photography » s’inscrit dans la continuité de la photographie allemande de la Nouvelle Objectivité. Newton s’associe à Henry Talbot, alias Heinz Tichauer (1920-1999), un Juif allemand, lui aussi interné à Tatura puis engagé dans l’armée australienne. Talbot se lance dans la photographie de mode en 1950, travaille pour l’Office australien de la laine (Australian Wool Board) puis pour Vogue Australia (1959). Sa réputation croissante de talentueux photographe de mode vaut à Newton une commande de Vogue pour un supplément spécial australien du magazine, publié en janvier 1956. Il décroche un contrat d’un an avec Vogue et part pour Londres en février 1957, laissant Talbot gérer l’entreprise. Bientôt, Newton quitte Londres pour Paris, où il travaille pour divers magazines français et allemands. En mars 1959, il revient à Melbourne pour un contrat avec Vogue Australia.

Newton et sa femme s’installent à Paris en1961. Poursuivant son travail de photographe de mode pour la presse périodique internationale, Newton affirme son art, marqué par des scènes érotiques et stylisées, souvent avec des connotations sado-masochistes et fétichistes. Ces séries Big Nudes (1980), ou Domestic Nudes (1992) marquent l’apogée de son style érotico-urbain, soutenu par son excellente technique photographique : clichés soigneusement composés, à l’ambiance cinématographique, de femmes charismatiques et mettant en scène des fantasmes érotiques. Publié dans l’édition française de Vogue, le diptyque Elles arrivent ! est reçu comme une provocation. Quatre mannequins, photographiées nues sur la page de gauche, puis vêtues à droite. La nudité intégrale en talons aiguilles fait presque partie du vocabulaire de base de son art photographique. Métaphore empreinte d’érotisme d’une image de la femme alors en pleine révolution. Une nudité qui s’affiche désormais comme naturelle mais est aussi un signe de vulnérabilité. Newton aime la féminité triomphante et dominatrice. Il a toujours fait de ses femmes des héroïnes. Il réalise aussi des portraits pour Playboy, dont des nus de Nastassja Kinski (1983). Des tirages originaux de ses photos de Kristine DeBell, publiées dans 200 Motels, or How I Spent My Summer Vacation (1976), sont vendues chez Bonhams et Christie’s lors de ventes aux enchères des archives de Playboy (2002-2003).

Karl Lagerfeld for Chloé, British Vogue, London 1966

À la fin de sa vie, Newton réside à Monte-Carlo et à Hollywood, où il passe les hivers à l’hôtel Château Marmont sur le Sunset Boulevard. C’est là, qu’il décède le 23 janvier 2004, victime d’une crise cardiaque alors qu’il conduit sa voiture. Ses cendres sont enterrées à Berlin. Newton a publié dix livres de son vivant, de son premier livre de photos érotiques White Women (1976) à son autobiographie (2003). Son livre Playboy (2005) présente une rétrospective de son oeuvre à travers l’histoire du magazine érotique. Peu avant sa mort, il crée la Fondation Helmut Newton à Berlin, choisissant pour la fondation, un ancien club d’officiers de l’armée prussienne, voisin de la gare de Zoologischer Garten où Hemut a pris le train pour l’exil. D’emblée cette fondation prend place dans le paysage culturel berlinois, appréciée tant pour le patrimoine artistique qu’elle représente mais aussi parce qu’elle marque le retour d’un grand artiste juif dans sa ville natale.

Au musée juif de St Kilda, faubourg de Melbourne (Jewish Museum of Australia – Gandel Centre of Judaica), une exposition, réalisée en collaboration avec la Fondation Helmut Newton et montrant de nombreux documents d’archives inédits, met en lumière les débuts du photographe à Berlin et en Australie. Helmut Newton : In Focus s’intéresse aux liens de Newton avec Melbourne et sa communauté juive, ainsi qu’aux étapes de son passage d’une photographie commerciale (portraits, photos de mariage, etc.) à son œuvre d’artiste provocateur. Sa carrière australienne démarre en 1947 lorsqu’il installe un studio de photographie au 353 Flinders Lane, le quartier de l’industrie de la mode à Melbourne. Devenu citoyen australien, Helmut abandonne son nom de naissance, Neustädter, et se lance dans une nouvelle vie. Comme le souligne l’historienne Jordana Silverstein (université de Melbourne) : Flinders Lane et l’industrie du vêtement sont étroitement associés à l’histoire de nombreux Juifs de Melbourne. Après la guerre, la communauté juive de Melbourne fait ce qu’elle peut pour aider les nouveaux arrivants. Newton fait d’abord des photos pour illustrer les catalogues des entreprises locales de vêtements appartenant à des Juifs, comme Rockmans. Il s’associe avec d’autres exilés, les photographes Henry Talbot et Wolfgang Sievers. Dans tout Melbourne, c’est une période où les réfugiés se refont une vie communautaire, passent du temps ensemble, se retrouvent les uns les autres. C’est l’apogée du centre communautaire Kadimah, centré sur le yiddish, avec des événements culturels quotidiens. Le théâtre yiddish est très actif. Lorsque Newton arrive à Melbourne, il a déjà derrière lui toute une pratique de la photographie et une méthodologie du travail acquise chez Yva à Berlin. June Newton, une jeune catholique, qu’il rencontre alors qu’elle est mannequin, devient sa muse, sa partenaire créative de toute une vie, participant en coulisses à tous ses projets.

Roland Baumann

Expositions

Helmut Newton : In Focus

Jusqu’au 29 janvier 2023, Jewish Museum of Australia : Gandel Centre of Judaica

26 Alma Road, St Kilda, VIC 3182

www.jewishmuseum.com.au/helmut-newton/

Helmut Newton : Legacy

Jusqu’au 25 septembre 2022 ; tous jours 10 -18 h ; Ravelingen

Koudekerkelaan 33, Knokke-Heist

www. helmutnewton.be

Pour en savoir plus

https://fr.wikipedia.org/wiki/Helmut_Newton

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yva

https://www.jmberlin.de/en/amor-skin-surreal-promotional-photograph-yva

https://en.wikipedia.org/wiki/Wolfgang_Sievers

https://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Talbot_(photographer)

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