Helen Levitt New York, 1940 © Film Documents LLC, courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne
La Fondation A consacre sa nouvelle exposition à Helen Levitt (1913-2009), photographe et cinéaste juive new-yorkaise.
Après les Rencontres d’Arles (2019) et une exposition cet hiver à la Photographers’ Gallery de Londres, Bruxelles accueille les images surprenantes de cette pionnière de la Street Photography new-yorkaise.
Née à Bensonhurst (Brooklyn), cette fille d’immigrants juifs de Russie, passionnée de photographie, abandonne ses études secondaires pour travailler dans le studio d’un photographe de quartier. Elle s’achète un appareil photo 35 mm d’occasion et se lance dans la photographie sociale. Arpentant les rues, de Manhattan, du Lower East Side à Spanish Harlem et jusqu’au Bronx, elle documente la vie populaire des quartiers défavorisés où les jeux d’enfants débordent des trottoirs sur les terrains vagues ou partent même à l’assaut de maisons abandonnées. Levitt s’intéresse aussi aux graffitis tracés à la craie sur les murs lépreux. Elle photographie les bandes d’adolescents et les adultes, « Noirs » ou « Blancs », pris dans la « banalité » du quotidien, en pleine conversation sur le pas de leur porte ou observant la rue de leur fenêtre… Pas de misérabilisme ni de voyeurisme dans ses images qui expriment son empathie pour ces « gamins de rues » et toutes ces « petites gens » dont elle capture les visages et la gestuelle. Ses sujets, souvent conscients de sa présence, participent parfois à ses photographies d’un regard ou d’un sourire. Des enfants, visiblement intrigués ou fascinés par la photographe, prennent parfois des poses inspirées des héros de films de gangsters qui crèvent alors l’écran.

Helen Levitt
New York, 1982
© Film Documents LLC, courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne
La Grande Dépression et le New Deal du président F. D. Roosevelt favorisent l’engagement social de nombreux jeunes artistes juifs. Helen Levitt participe aux activités de la Film and Photo League, dont le réalisme social s’inspire aussi de la culture visuelle de la gauche communiste européenne et de la révolution bolchévique et veut faire de la photographie un outil de lutte. Helen découvre le cinéma d’avant-garde européen et soviétique d’Europe et de Russie. Cinéphile depuis son enfance, elle admire l’art des stars du burlesque muet : Buster Keaton, Laurel et Hardy, et surtout Charlie Chaplin dont la pantomime et dynamisme du langage corporel inspirent son approche photographique. En 1935, elle assiste à une conférence d’Henri Cartier-Bresson à la Film and Photo League. Ce jeune français, photographe engagé proche des surréalistes et bien introduit dans les milieux de l’avant-garde new-yorkaise, l’expose aux visions artistiques du surréalisme révolutionnaire.
Toutes ces influences se retrouvent dans son regard de photographe, de même que sa passion pour la danse. Ses photographies d’enfants semblent parfois chorégraphiées. Helen Levitt présente la rue comme un paysage quasi théâtral au sein duquel elle traque les interactions et les plus petits gestes des jeunes protagonistes… Certes, elle n’est pas la seule pionnière de la Street Photography. Animés par une volonté commune d’associer étroitement l’engagement social aux recherches esthétiques dans l’approche visuelle des rues new-yorkaises, des photographes associés à la Film and Photo League, fondent en 1936 la Photo League. Les activités culturelles et l’enseignement de la Photo League vont inspirer toute une génération de jeunes photographes, amateurs ou professionnels, souvent juifs, tels Walter Rosenblum, Morris Engel, Aaron Siskind, Jack Manning (Jack Mendelsohn), Lou Bernstein, Sol Libsohn, Louis Stettner… et aussi Weegee (Arthur Fellig). Seule véritable école de photographie dont l’enseignement et les labos sont ouverts à tout amateur de photographie et à une époque ou le photographe est rarement considéré comme un artiste, cette institution démocratique fonde un nouveau style dans la photographie documentaire et sociale : la Street Photography new-yorkaise.

Helen Levitt
New York, c. 1940
© Film Documents LLC, courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne
En 1938, Levitt se lie d’amitié avec le photographe Walker Evans qu’elle aide à faire ses tirages photos et qui lui présente son ami écrivain James Agee. C’est avec Agee et la cinéaste Janice Loeb, que Levitt réalise son premier film, In the Street (1948), court-métrage muet filmé à East Harlem. Un portrait dynamique, émouvant et humoristique de la rue new-yorkaise où les enfants farceurs jouent, dansent, ou, costumés tant bien que mal, célèbrent Halloween, et se livrent aussi des batailles endiablées… tandis qu’un commerçant balaie le trottoir, ou que des passants se rendent au travail… Comme l’annonce le petit texte d’introduction du film qui défile à l’écran avant ses premières images, « Les rues des quartiers pauvres des grandes villes sont avant tout un théâtre et un champ de bataille ». Film captivant et précieux document historique, In the Street nous montre le fascinant théâtre de la rue new-yorkaise où « chaque humain est un poète, un masqué, un guerrier, un danseur ».
Engagée dans ses projets cinématographiques après-guerre, Levitt se tourne vers la photographie couleur en 1959. En 1970, la plupart de ses négatifs couleur disparaissent suite au cambriolage de son appartement. Ce sont donc des photographies couleur des années 1970-1980 que nous montre la Fondation A. Le paysage urbain a changé. dans ces rues désertées par les enfants et envahies par les symboles de la société de consommation, les clichés d’Helen Levitt se peuplent de voitures et de personnes âgées… Des photographies noir et blanc d’inconnus dont elle capture les visages à la sauvette dans le métro new-yorkais, nous montrent les débuts d’une nouvelle forme d’art urbain, celui du « graffiti moderne » dont nous entrevoyons les lettrages et les arabesques énigmatiques, tracés au marqueur et à la bombe sur les parois des wagons, en arrière-plan de ces portraits anonymes des années 1970.
Roland Baumann
Helen Levitt : One, Two, Three, More
Fondation A, avenue Van Volxem 304, 1190 Bruxelles, jusqu’au 10 avril 2022, du mercredi au dimanche 13-18h
Voir son film In the Street dans un versionet comportant une nouvelle partition musicale écrite et interprétée par Ben Model. à l’accompagnement musical contemporain réalisée par le compositeur Ben Model pour le Metropolitan Museum of Art :
www.youtube.com/watch?v=hznvV2bBkX4
https://fr.wikipedia.org/wiki/Helen_Levitt
https://thephotographersgallery.org.uk/whats-on/helen-levitt-retrospective