Fondé à la suite du 7 octobre, le collectif Golem Belgique rassemble des Juifs de gauche pour lutter contre l’antisémitisme et remobiliser le camp antiraciste. Rencontre avec Laura Calabrese, membre de la coordination de Golem Belgique.
Dans quel contexte s’est créé Golem Belgique et pour répondre à quel besoin ?
Golem Belgique est né dans la foulée du 7/10, alors que les Juifs étaient massivement sous le choc des événements. A ce moment-là, des Juifs de gauche, humanistes ou libéraux progressistes se sont dit qu’il fallait se rassembler pour réagir à l’antisémitisme qui s’est immédiatement manifesté après l’acte terroriste du Hamas.
Dans ce contexte, les Juifs de gauche se sont sentis tenaillés entre l’antisémitisme sociétal et des communautés davantage droitisées et repliées, la solitude était grande, y compris au sein des familles ou des groupes d’amis, très divisés sur ces questions-là. Se rassembler était absolument nécessaire. Être ensemble nous a permis de tenir debout dans un premier moment, et plus tard de bâtir une réflexion, un mode d’action, des balises pour lutter contre l’antisémitisme tout en construisant des ponts. Dans ce sens, Golem a eu et a toujours un but « thérapeutique » (qui se traduit dans ses groupes de parole, par exemple), mais pas seulement ; c’est un lieu de réflexion sur les racismes et leur imbrication, un collectif qui s’engage dans la lutte féministe et globalement dans toutes les causes de la gauche, car depuis sa fondation il était évident qu’on ne pouvait pas lutter contre les actes et les discours antijuifs sans tenir compte des autres racismes, du sexisme et des inégalités structurelles qui traversent nos sociétés.
Quel est le lien avec Golem France, crée quelques mois plus tôt, en novembre 2023 ?
Il s’agit en quelque sorte d’un spin off. Les Français ont créé Golem France au lendemain de la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023, qui a montré la fracture avec la gauche et l’appropriation de l’événement par l’extrême droite. Cette action a inspiré des membres de la communauté juive bruxelloise, beaucoup plus petite que la parisienne, mais très active. Même si la problématique n’était pas la même vu le climat politique dans chaque pays et la taille de la communauté, le vécu était identique et les leviers d’action aussi.
Qui compose le collectif aujourd’hui ?
Les membres de Golem ont entre 18 et 70 ans, approximativement. Un nombre important a fréquenté les écoles juives ou les mouvements de jeunesse. Il y a beaucoup de jeunes, qui militaient dans des collectifs de gauche sans soupçonner qu’après le 7/10 leurs coreligionnaires allaient les confronter à un conflit de loyautés. Il y a pas mal d’étudiant-e-s universitaires qui ont vécu le mouvement d’occupation à l’ULB et les incidents antijuifs qui ont eu lieu, et contre lesquels l’université a porté plainte. Les plus âgés sont des personnes progressistes qui ont également ressenti la rupture avec une partie de la gauche qui rejettent le repli communautariste, qui veulent dénoncer les agissements du gouvernement israélien sans tomber dans le piège de certains mouvements radicaux, qui s’interrogent sur ce qu’ils peuvent faire pour ouvrir les yeux face aux souffrances des Palestiniens sans pour autant fermer toute solution politique au conflit ou à la responsabilité d’acteurs comme le Hamas, comme c’est parfois le cas.
Quant à son mode de fonctionnement, il y a une coordination générale et des groupes thématiques qui travaillent de manière autonome. On se réunit régulièrement en assemblée générale pour échanger des idées et rendre des comptes des activités. Nous avons des activités pour les membres et des activités ouvertes à l’extérieur, toujours avec des invités qui nous aident à réfléchir aux questions qui nous importent.
Quels sont les objectifs du collectif ?
L’objectif principal de Golem est de combattre l’antisémitisme en Belgique dans une perspective de gauche, c’est-à-dire sans recourir à des paniques morales, sans faire appel à la thèse du nouvel antisémitisme qui stigmatise les musulmans comme les porteurs exclusifs de cette idéologie mortifère, et sans penser que la droite et l’extrême droite vont protéger les Juifs. Lutter contre l’antisémitisme depuis la gauche veut aussi dire remobiliser le camp antiraciste, qui avait plus ou moins rayé ce type de racisme de ses priorités, soit par désintérêt, soit par ignorance du phénomène, dans les pires des cas par mauvaise foi. Il y avait donc un décalage énorme entre le sentiment de menace des Juifs et le sentiment d’absence de menace de la société en général ; le 7/10 et son effet « boite de Pandore » de l’antisémitisme a été un wake up call à ce sujet. Mais c’est un travail de longue haleine, face à un double écueil : d’une part la négation de l’antisémitisme dans certains segments de la gauche, d’autre part l’instrumentalisation de l’antisémitisme par la droite et l’extrême droite, qui en fait une arme dans sa croisade contre l’islam.
Cette perspective particulière de Golem a une incidence dans nos manières de travailler, car il ne s’agit pas pour nous de renforcer le sentiment de peur et de menace des communautés juives ou de prêcher les convertis, mais au contraire de nous donner des outils pour sortir de la peur, comprendre les mécanismes du racisme et empouvoirer les gens. Nos modes d’action sont donc le dialogue avec le champ politique et associatif, mais aussi avec d’autres collectifs qui luttent contre d’autres formes de racisme, dans une perspective de convergence des luttes permet d’éveiller plus de gens et de partager des outils.
Le deuxième objectif de Golem-Belgique, qui est venu un peu plus tard, est celui de repolitiser la question israélo-palestinienne au sein des communautés juives. Nous alertons sur la souffrance des Palestiniens et sur les crimes de guerre de l’armée israélienne, encadré par un gouvernement d’extrême droite qui ne croit pas aux libertés fondamentales ni à l’état de droit, sans pour autant remettre en question l’existence d’Israël en tant qu’état qui se doit à tous ses citoyens (pas seulement juifs). Soutenir et relayer ici en diaspora les voix sociales, politiques ou culturelles qui se battent en Israël contre l’agenda suprémaciste, liberticide ainsi que la colonisation des territoires occupées, et pour la coexistence des deux peuples. Aujourd’hui, il est parfois difficile de faire entendre cette idée, au sein comme en dehors des communautés juives, tant à droite qu’à l’extrême gauche.