Le 21 octobre 1976, à l’âge de 62 ans, Malamud note laconiquement dans son journal: « Bellow a reçu le Prix Nobel. J’ai gagné 24 dollars et 25 cents au poker ».
Tout est dit en matière de rivalité et de reconnaissance.
Partageant des origines familiales communes – ils sont tous deux issus de parents juifs émigrés de Russie – ils forment avec Philip Roth ce que l’histoire littéraire américaine du XXIème siècle aura qualifiée d’école juive new-yorkaise, bien que l’appellation « juive » apparaisse aux yeux des intéressés trop restrictive.
Tandis que les héros de Bellow sont concentrés sur leur intériorité et évoluent souvent dans un milieu intellectuel feutré, les personnages de Malamud se débattent âprement face aux difficultés de l’existence, limitations inexorables de leurs possibilités d’épanouissement, sur les trottoirs enneigés de Brooklyn , dans l’univers étriqué de leur boutique misérable.
A l’automne de sa vie, William Dubin s’est forgé, à force de ténacité et de travail, une réputation de biographe. Il colmate tant bien que mal l’anxiété chronique de son épouse et supporte silencieusement ses multiples rituels compulsifs. Le couple affronte le virage douloureusement mélancolique du nid vide, les enfants devenus adultes ayant désormais quitté la maison. Afin d’échapper à la morosité quotidienne, Dubin se concentre sur la rédaction d’un nouvel ouvrage consacré à D. H. Lawrence mais l’arrivée d’une jeune femme de ménage va faire vaciller tout l’édifice.
L’enchaînement semble presque convenu et prévisible : la fascination d’un homme mûr pour la jeunesse d’une partenaire improbable, la déception cruelle occasionnée par la vulgarité et l’inconstance de l’élue, les soupçons de l’épouse, les mensonges grossiers, les conflits rageurs qui viennent dénoncer les dysfonctionnements désormais insupportables, la lâcheté face aux décisions ultimes.
Bien malgré lui, le héros revisite sa propre histoire et ses béances : la maladie et le décès prématuré de sa mère, le silence et le manque d’ambition paternels, une judéité lacunaire détachée de toute forme de tradition, la fragilité psychique de son épouse, le doute obsédant de ses propres qualités parentales, le parcours chaotique des enfants livrés désormais à eux- mêmes.
On pourrait attribuer à Dubin la réflexion que Proust place dans la bouche de Swann (Tout cela pour une femme qui n’était pas mon genre…) mais ici le style n’en a pas l’élégance musicale. On est en présence d’une alternance mécanique de discours direct et indirect, où les protagonistes s’empêtrent dans des rationalisations boiteuses, engluées d’angoisse et de culpabilité, qui feraient figure de cas d’école pour un apprenti en développement personnel. L’autodérision ironique cède la place à une autoflagellation trop appuyée, à certains endroits caricaturale, confinant à la posture.
Il sauve la mise en imaginant une résolution originale à ce qui s’appelle un trio classique (mari, épouse, maîtresse).
Défiant le puritanisme outre-Atlantique , il instaure une curieuse garde alternée maritale, qui évite les renoncements insupportables, protège des angoisses d’abandon et permet à chacun de déployer son vrai moi. Peut-être. Enfin.