Joyau de l’art déco, le musée d’Alice et David van Buuren, à Uccle, abrite une étonnante collection d’art et de remarquables jardins, nous évoquant la mémoire de ce couple de mécènes
David Michel van Buuren (1886-1955) naît à Gouda dans une famille juive d’amateurs d’art. En 1909, il vient travailler à Bruxelles pour la banque du baron Cassel et en 1922, épouse Alice Piette (1890-1973), secrétaire de cette banque privée. Délégué à la Bourse, puis fondé de pouvoir général, et enfin associé, David quitte la banque Cassel et devient financier indépendant en 1937. Enseignant depuis 1930 la déontologie financière à l’ULB, il obtient la grande naturalisation en 1933. Construite en 1924-1928, avenue Léo Errera (au nom du célèbre botaniste juif bruxellois), la maison particulière des van Buuren, est une œuvre d’art totale et témoigne d’une volonté de vivre l’art au quotidien. Elle sert aussi d’écrin à une étonnante collection d’art des symbolistes et expressionnistes flamands de
Laethem-Saint-Martin, en particulier de Gustave van de Woestyne (frère du poète Karel van de Woestijne). Conservatrice du musée, Isabelle Anspach précise : En 1913, David van Buuren achète « La cour de Sainte-Agnès », premier tableau de sa collection et sa première toile de van de Woestyne, dont il devient l’ami et le mécène, se constituant la plus grande collection privée d’œuvres de ce peintre. Dans sa carrière de collectionneur, David s’intéresse d’abord à l’art de son temps, puis se passionne pour l’art ancien, jusqu’à « La Chute d’Icare », achetée en 1953, alors qu’il est déjà très malade. Aujourd’hui, ce chef-d’œuvre n’est plus attribué à Brueghel l’Ancien, mais reste très apprécié. La conservatrice ajoute : En 1940, David figure sur la liste des Juifs belges recherchés par les nazis et les van Buuren s’exilent à New York. La maison est occupée par un état-major allemand, puis par des officiers anglais. Des livres anciens et des meubles disparaissent, mais les collections d’art, mises à l’abri avant la fuite des van Buuren, sont sauvées avec l’aide de leur chauffeur.
La maison aux façades asymétriques de briques rouges, rejointoyées en creux, est dans le style de l’école d’Amsterdam. Ce n’est pas une grande demeure et son aspect extérieur n’annonce pas les trésors qu’elle recèle. Elle abrite de rares souvenirs familiaux, telle la grande horloge hollandaise du 17e dans le hall d’entrée, mais s’affirme dans la modernité de ses décors et de son mobilier. En 1925, les van Buuren visitent l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes à Paris, apogée de l’Art Déco, dont on voit l’impact sur les décors et mobiliers de leur maison. Alice et David ne suivent pas aveuglément la mode parisienne des arts décoratifs modernes. Leurs choix d’intérieur associent les créations d’artistes français, belges et hollandais qui doivent répondre à leurs demandes spécifiques. Citons l’excellent travail du Studio Dominique, ensemblier parisien spécialiste des bois exotiques, typiques de l’Art Déco. L’argenterie Mona Lisa de l’orfèvre Philippe Wolfers, juif bruxellois… Jaap Gidding joue un rôle majeur dans la décoration intérieure, créant les tapis des salons, les vitraux et la verrière. Gidding a participé à la réalisation du pavillon des Pays-Bas à l’Expo d’Art Déco de Paris ainsi qu’à la décoration du Theater Tuschinski à Amsterdam. Ouvert en octobre 1921, ce temple du cinéma des « années folles », associe les architectures de l’Art Nouveau, de l’école d’Amsterdam et de l’Art Déco. Né près de Lodz, Abraham Icek Tuschinski s’établit à Rotterdam en 1904 et y ouvre un cinéma en 1911. Exploitant à succès de salles de cinéma à Rotterdam et Amsterdam à l’âge d’or du 7e art, Tuschinski finit à Auschwitz en 1942. Inquiété à la Libération vu sa participation au Nederlandsche Kultuurraad créé en 1942 par les nazis pour contrôler la vie culturelle néerlandaise, Jaap Gidding tombe dans l’oubli !
Le premier jardin de la maison van Buuren, conçu par Jules Buyssens, grand architecte paysagiste de la ville de la ville de Bruxelles, se divise en trois parties : la petite roseraie, le jardin pittoresque et la grande roseraie. Isabelle Anspach explique : Le jardin pittoresque a des ambiances très différentes : une partie japonisante avec la pièce d’eau, l’érable du japon à côté d’un citronnier chinois, de grands herbes et nénuphars… et de l’autre côté la rocaille propre à l’art de Buyssens, inspirée des jardins naturels de montagne et typique de cette époque d’invention du tourisme Alpin. Il existe un vrai dialogue entre la maison et son jardin qui se terminait à la Grande Roseraie avant la mort de David. Alice achète par la suite de nouvelles parcelles de terrain où René Pechère va créer le Labyrinthe et le Jardin Secret du Coeur.
David était franc-maçon comme le montrent ses insignes et le suggèrent des éléments du décor de la maison et de sa symbolique. Non-juive, Alice soutient l’État d’Israël, notamment avec les Amis belges de l’université hébraïque de Jérusalem. En 1962, elle participe à la création de l’institut d’archéologie Reine Élisabeth à l’université de Jérusalem, puis finance la construction du Collegium Fabiolanum sur le campus de Givat Ram, la « Maison belge » dont la grande clé en argent reçue lors de l’inauguration se trouve en vitrine dans l’atelier de David van Buuren. Alice a reçu dans sa maison David Ben Gurion, Shimon Peres et Golda Meir… La période qui suit la mort de David est documentée dans les archives du musée : Alice ouvre sa maison aux artistes et aux musiciens. Elle entretient une relation privilégiée avec la reine Élisabeth que montre une photo d’archive, assistant au récital du jeune violoniste israélien Yossi Zivoni, dans les salons van Buuren en 19631. Enfin, l’amour d’Alice pour la culture juive s’affirme dans les jardins de René Pechère.
Le projet du Labyrinthe naît d’un rêve. Le 1 juin 1968, Alice téléphone à Pechère pour lui demander de créer le labyrinthe dont elle vient de rêver, ajoutant que ce nouveau jardin doit être inauguré début octobre car Amiel Najar, à l’époque ambassadeur d’Israël en Belgique, va rentrer au pays. Pechère conçoit ce labyrinthe sur le thème du Cantique des Cantiques, et demande à André Willequet, sculpteur belge de renom, de réaliser une sculpture inspirée d’un verset du poème d’amour pour chacune des sept salles de verdure. Ainsi, « je suis la rose de Saron » dit le verset figurant sur le socle de la rose avec ses pétales sculptée par Willequet, et dont le motif est repris sur le pavement. Il faut traverser ces salles de verdure pour sortir du Labyrinthe, ce qui selon Pechère en fait plutôt un dédale, un labyrinthe étant censé vous amener en son centre ce qui n’est pas le cas ici. J’entre d’un côté, déambule, puis sort de l’autre côté. Le 13 octobre 1968, jour de l’inauguration, Amiel Najar déambule dans le labyrinthe, récitant le Cantique des Cantiques en Hébreu ! Dans l’atelier de peinture de David, une maquette de ce jardin montre le Magen David inscrite au sol d’une des sept chambres de verdure.
Réalisé par Pechère en 1969-1970, le Jardin Secret du Coeur, hommage à l’époux disparu, reprend le motif de Magen David, souligne Isabelle Anspach : Le calepinage des pierres forme une étoile de David,que le visiteur ne remarque pas, mais qui est bien visible sur plan ou vu d’en haut. Dans le livre qu’elle consacre au musée, la conservatrice note2 : Dans cet espace intime, véritable bulle de méditation, se détachent trois îlots de quatre petits coeurs dessinés avec des buis et protégés par une haute haie d’ifs, elle aussi plantée en forme de coeur. Alice s’y rendait souvent, s’asseyant sur un banc dans une des deux niches, pour lire ou se recueillir.
En 1970, Alice crée l’asbl des amis du musée van Buuren. Depuis son ouverture en 1975, le musée van Buuren reste fidèle à sa vocation, ouvert aux créations artistiques contemporaines, tout en honorant la mémoire de ses fondateurs dont il met en valeur la magnifique demeure et ses précieuses collections d’art.
1 Isabelle Anspach, Musée et jardin van Buuren, Bruxelles, Fonds Mercator, 2007, p.15
2 Ibid. p.128
Roland Baumann
Note de la MCJ : Une visite Uccle la Juive (avec le jardin Van Buuren) est organisée le dimanche 30/05/2021 à 14h00
voir : https://maisondelaculturejuive.be/evenements/uccle-la-juive/
Principales sources :
https://www.museumvanbuuren.be/fr/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Musée_Alice_et_David_van_Buuren
https://fr.wikipedia.org/wiki/Exposition_internationale_des_Arts_décoratifs_et_industriels_modernes
https://nl.wikipedia.org/wiki/Jaap_Gidding
https://nl.wikipedia.org/wiki/Theater_Tuschinski
https://nl.wikipedia.org/wiki/Abraham_Tuschinski