Rencontre avec Neta Elkayam. Entre héritage, musique et engagement

Neta Elkayam est chanteuse, plasticienne et militante culturelle. D’origine juive marocaine, elle puise dans la mémoire musicale et spirituelle du Maroc pour créer une œuvre engagée, mêlant tradition et modernité. Elle est aujourd’hui l’une des voix les plus vibrantes de la scène judéo-marocaine contemporaine.

 

Je suis née dans une famille juive marocaine, mon père est originaire de Tinghir et ma mère de Casablanca. J’ai grandi à Netivot, en Israël, dans une ambiance imprégnée de l’amour de Hashem et de nos traditions. Adulte, j’ai déménagé à Jérusalem, une ville que j’ai immédiatement aimée pour sa richesse humaine, sa diversité et cette coexistence vibrante entre les peuples. C’est là que j’ai commencé à m’ouvrir à la connaissance de mon judaïsme, à travers un retour aux sources : la quête de mes racines marocaines.

 

J’ai découvert que le judaïsme marocain possède une identité propre, profonde et musicale. Dans nos synagogues, on prie en chantant aux rythmes des mélodies andalouses. Nous célébrons la Mimouna, cePe fête que seul le Maroc a su faire naître et que chaque communauté marocaine a emportée avec elle, où qu’elle se trouve Mes grands-parents me racontaient souvent combien ils vivaient en harmonie avec leurs voisins, combien ils étaient heureux au Maroc. Ces récits ont habité mon cœur. Ils ont forgé ma mission : préserver l’unité d’un seul peuple, d’un seul pays, le Maroc, à travers la musique et l’art, même en étant juive, même en vivant ailleurs.

 

Ce qui me touche profondément dans le judaïsme marocain, c’est cette manière de chanter tous les moments de la vie — de la Brit milah à la mort. Même le travail a son chant, en particulier dans la culture amazighe de mes ancêtres. On chante pour pleurer, pour rire, pour vivre. C’est cette transmission vivante que je cherche à incarner. Un tournant personnel a été la lecture du « Pain Nu » de Mohamed Choukri, auteur Tangérois. Ce récit de la misère marocaine des années 1940 m’a bouleversée. Il a mis des mots sur l’histoire de mes grands-parents, partis du Maroc, non seulement pour des raisons politiques, mais aussi économiques. J’ai ressenti une profonde proximité avec l’auteur : lui a appris à lire et à écrire à 20 ans, moi, j’ai appris à 30 ans le darija, ma langue d’origine, ainsi que les chants traditionnels.

 

Autre texte marquant : « Le racisme expliqué à ma fille » de Tahar Ben Jelloun. Devenue mère, ce livre m’a fait prendre conscience du danger du racisme et de l’antisémitisme. Je crois que Dieu nous a créés semblables. Pourtant, tant de haine persiste entre nous. Il faut combattre cela, pour nous, mais surtout pour nos enfants. Côté artistique, je me sens proche du mouvement Dada. J’ai même créé mon propre Dada : le Dada de Neta — une forme d’expression vocale sans paroles définies, mêlant corps, youyous et sons bruts, au-delà du langage. CePe créabon a vu le jour à La Nouvelle-Orléans, où je vis désormais. Mon film préféré reste « De Tinghir à Jérusalem » de Kamal Hachkar. Il raconte l’histoire de mon père, de notre communauté. Ce film parle de moi, de nous. Il me bouleverse à chaque visionnage.

 

Ma pensée est aussi nourrie par la philosophie d’Emmanuel Levinas. Sa conception d’une responsabilité éthique première, orientée vers l’autre, résonne fort en moi. Comme dans cette belle réponse de Rabbi Akiva, lorsqu’un élève lui demande de lui résumer la Torah, à Rabbi de lui répondre « Aime l’autre comme toi-même. » C’est cette pensée qui guide aujourd’hui ma vie.

 

Enfin, le concert qui m’a le plus émue reste ma première fois à la synagogue marocaine de Netivot, celle de mon père. Les chants andalous m’ont traversée, bouleversée. Depuis, je cherche à faire revivre cette émotion sur scène. Je prie avant chaque concert. Et j’essaie, de tout cœur, de toucher le public comme j’ai été touchée ce jour-là.

Propos recueillis par Latifa Mortier Karzazi
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