Judaïcausette© avec Nicolas Zomersztajn

Né à Bruxelles en 1969 de parents juifs ashkénazes, Nicolas Zomersztajn a fréquenté les athénées Maïmonide puis Léon Lepage avant d’étudier Sciences Politiques à L’Université Libre de Bruxelles. Contributeur de Regards, il devient directeur de publication du mensuel en 2002 puis Rédacteur en chef en 2008. Grand lecteur, passionné de politique, globetrotter, il affectionne les grands espaces, l’altitude et l’Inde en particulier.

DEFINITION : Quelle serait votre définition de la culture juive ?

La culture juive englobe, pour moi, un ensemble d’aspects, à la fois intellectuels, artistiques, religieux et politiques du peuple juif. Elle reflète d’une part l’être juif et d’autre part la condition juive. A savoir, comment les Juifs se situent par rapport à eux-mêmes mais aussi comment ils se positionnent par rapport au monde qui les entoure, en tant que groupe minoritaire – ils ont toujours dû cherché à comprendre leur environnement pour pouvoir vivre paisiblement voire survivre. Cette double focale, individuelle et collective, est propre à la culture juive et imprègne son expression artistique.

RESSENTI : Comment définiriez-vous votre culture juive ? Comment la vivez-vous ?

Un petit peu de toutes ces manières, peut-être avec une dimension religieuse allégée. En tant que laïc, je ne n’exclus pas, je la réinterprète. Je suis imprégné de culture juive et ce rapport relève de tant de choses et de l’intime. La nourriture constitue naturellement un des éléments de la culture d’un groupe, elle nous relie. La table a la vertu de rassembler les convives, de leur permettre de partager un moment privilégié, d’échanger des idées, de discuter. Et oui, je mesure ma chance de pouvoir savourer, depuis l’enfance, les plats traditionnels concoctés par ma mère !

MUSIQUE : Quels sont vos musiciens « de prédilection » ?

S’il y a beaucoup de grands musiciens juifs de musique classique – Leonard Bernstein ou Arthur Rubinstein – je n’en vois pas beaucoup parmi les compositeurs. Même si les Juifs ont un rapport particulier avec la musique, ce n’est pas un domaine où je décèle une sensibilité juive particulière, à l’exception de la musique klezmer que je trouve trop folklorique ou « folklorisée ». Autrement dit : ce n’est pas en tant que Juifs que certains musiciens ont apporté quelque chose de particulier à la musique. Je ne pense pas, par exemple, que Bob Dylan puisse être catégorisé comme un chanteur juif. Le seul peut-être à qui on pourrait accoler cet adjectif, serait, à certains égards, Léonard Cohen qui est davantage poète que chanteur.

LITTERATURE : Quels auteurs, ouvrages, vous ont-ils touché ?

Philip Roth ! Voilà un auteur qui a magnifiquement décrit l’identité juive américaine contemporaine. Une véritable étude sociologique émane de ses livres. Il a, de plus, réussi à concilier le particulier et l’universel : son œuvre, qui ne s’adresse pas aux Juifs, parle souvent des Juifs : il élabore, dans « Le complot contre l’Amérique », une dystopie où, suite à la prise de pouvoir de l’extrême droite, par Lindberg, les Juifs sont en proie à des difficultés. Ou citons encore « Opération Shylock », qui se déroule pendant le procès de Demjanjuck en Israël. Son double, Nathan Zuckerman, imagine le retour des Juifs d’Israël en diaspora. Ses romans sont aussi talentueux qu’originaux !

Je pense aussi à Vassili Grossman l’auteur de « Vie et destin » – livre qui avait été saisi chez lui tandis que des copies quittaient l’URSS sous le manteau. Et donc, ce « Guerre et Paix du XXème siècle » (et plus spécifiquement de la seconde guerre mondiale) pose une série de questions essentielles sur la nature des totalitarismes – nazisme et stalinisme. Il contient également de terribles pages sur la Shoah : sa mère ayant été exterminée par les einsatzgruppen à Berditchev, en Ukraine. Vassili Grossman est aussi co-auteur, avec Ilya Ehrenbourg, du fameux « Livre noir » sur les crimes des nazis. Ce livre, interdit de publication par Staline, ne sera publié intégralement qu’en 1993 à Vilnius et seulement en 2010 en Russie.

ARTS PLASTIQUES : Un.e peintre, sculpteur.trice, artiste, œuvre…

Je dirais que c’est un domaine que les Juifs n’ont pas beaucoup investi. Il y a peu de grands peintres juifs. On peut citer dans l’Ecole de Paris : Chaïm Soutine, Amedeo Modigliani ou Marc Chagall que je n’aime pas trop – ses œuvres folklorisent le monde ashkénaze et ont contribué à forger des images d’Epinal du shteitl. Honnêtement, quand je pense à la peinture, je pense rarement, ou même pas du tout, aux Juifs ! Notons cependant de grands noms de la bande dessinée, du roman graphique ou des comics aux Etats-Unis ou en Israël.

7EME ART : Quels films, réalisateurs.trices, documentaires, vous reviennent-il en mémoire ?

Alors ici, je pense directement aux Etats-Unis et aux Juif qui ont été précurseurs du 7ème art. Ils ont fait Hollywood et y ont excellé dans tous les registres (production, réalisation, écriture des scénarii, jeu d’acteur, musique, etc.) Cette industrie était totalement originale et bien sûr, à destination de tous. Et contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les Juifs n’ont pas « enjuivé » le cinéma américain mais ils l’ont utilisé pour s’américaniser : il a été un formidable instrument d’intégration.

Je salue aussi l’audace, par exemple, du réalisateur Mike Nichols qui a adapté « Le Lauréat /The Graduate » de Charles Webb à l’écran. Alors que le roman original se situe dans un univers WASP (white anglo-saxon protestant), il choisit un acteur juif new-yorkais aux cheveux noirs, Dustin Hoffman, pour incarner Benjamin Braddock et une femme d’origine italienne, Anne Bancroft, pour jouer Mrs Robinson ! Ce choix de « métèques », de minoritaires, pour incarner des « wasp », reflète bien le détournement des codes, une forme d’appropriation culturelle inversée : et ça marche !

Sur la côte Est, je pense à Woody Allen et à son « Crime et Délit » en particulier. Il reprend la trame imprimée par Dostoïevski dans « Crime et Châtiment » dans laquelle il fait évoluer une série d’archétypes juifs. On assiste à de très belles scènes ainsi qu’à de fins dialogues lors d’un seder de Pessah, tout cela est très bien amené.

PENSEE JUIVE : Etes-vous proche de la/d’une pensée juive /d’un.e philosophe ?

Je songe à Raymond Aron, grand penseur politique du XXème siècle. Cette figure du libéralisme, qui ne se positionnait pas en tant que Juif, a néanmoins écrit de très beaux textes sur son identité juive, sur sa relation à la France en tant que Juif, et sur son rapport à Israël. Autre spécialiste du libéralisme, le philosophe politique britannique, Isaiah Berlin, a également mené une réflexion intéressante sur son rapport à l’identité juive ou à Israël. Ces deux intellectuels de la diaspora avaient un lien particulier à Israël, comme de nombreux Juifs.

Je citerais aussi le penseur israélien Yeshayahou Leibowitz. Juif orthodoxe, il a forgé une réflexion sur le rapport entre la religion et l’état mais encore sur l’occupation israélienne et sur la nécessité d’y mettre fin. Son approche est laïque, radicale mais extrêmement intéressante. Il fut l’un des premiers, en 1967, à expliquer en quoi la conquête de la Cisjordanie n’entraînerait que des problèmes, ce qui ne l’empêchait pas d’être profondément sioniste. Pour lui, la vocation d’Israël était de rendre le peuple sioniste libre. Pas de faire des Juifs des occupants, des dominateurs, d’un autre peuple.

SOUVENIR : Pourriez-vous nous confier un moment de partage et de joie de culture juive ?

C’est difficile à dire, quand on a une conscience aigüe de sa judéité – avec cette particularité de « Juif professionnel » – on vit à tous les instants des moments juifs et importants. Cela dit, deux rites de passage contiennent pour moi une saveur particulière : c’est la bar-mitzvah et le mariage. Dans l’un comme dans l’autre, les intéressés ne sont pas spectateurs de leur cérémonie mais ils y participent pleinement : l’enfant est amené à monter à la Torah, à lire, à chanter, ce qui est assez impressionnant pour lui, il marque son entrée dans le monde des adultes et dans la communauté. Quant aux mariés, ils accomplissent une série de gestes qui en font des acteurs à part entière du moment solennel qu’ils sont en train de vivre. Les ayant tous deux expérimentés, ils me semblent différents de ce que j’ai pu voir ailleurs.

>Retrouvez l’édito et les articles de Nicolas Zomesztajn dans le mensuel Regards ou encore sur facebook

A.K.

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