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Judaïcausette© avec Monsieur le Rabbin Yoni Krief

Né en 1977 en région parisienne, de parents d’origine juive tunisienne, Yoni Krief étudie le rabbinat à Paris, complétant sa formation par un master d’hébreu, par un master d’Histoire sur le fait religieux ainsi que par un doctorat en droit public actuellement en cours. Rabbin « itinérant » dans un premier temps, il est nommé rabbin de Nantes de 2006 à 2016 avant d’officier à la synagogue sépharade à Bruxelles jusqu’à ce jour. Il est marié à Sarah. Ils ont cinq enfants.

DEFINITION : Quelle serait votre définition de la culture juive ?

La culture juive est unique et plurielle. Unique parce que le judaïsme s’est construit sur un même texte, celui de la Torah, et plurielle parce que ce texte inaltérable a permis de multiples déclinaisons cultuelles. Dispersées, les communautés juives se sont imprégnées des lieux où elles se sont implantées, linguistiquement notamment : les Juifs du Maghreb parlent le judéo-arabe ; les juifs d’Espagne, le djudio et non pas le ladino comme on le dit souvent, le ladino étant une langue calque traduisant la Bible en espagnol tout en gardant la syntaxe hébraïque ; les Juifs Ashkénazes ont créé le yiddish et les différentes déclinaisons en Allemagne et dans les différentes provinces de l’Est de l’Europe. Par ailleurs, Israël est aujourd’hui peuplé de Juifs du monde tels que l’Ethiopie, le Yémen ou encore l’Azerbaïdjan : ce « melting pot » est assez extraordinaire. Voyez aussi le monde de différences entre les communautés juives de Bruxelles et d’Anvers !

Voilà ce qui fait la force du peuple juif : un socle solide nimbé d’une perméabilité. A contrario, sans Torah, ses différentes expressions n’auraient pas existé. Je pense encore à deux exemples historiques : Alors qu’au Moyen-âge les textes ne circulaient qu’en latin, Rachi, rabbin de Troyes, rédigeait ses gloses en français. Les linguistes contemporains y puisent une mine d’informations pour enrichir leur lexique d’ancien français.
Quant à Maïmonide, il est dit qu’il étudiait en hébreu, qu’il écrivait en arabe et qu’il pensait en grec. Les rabbins ont souvent été des hommes de grande culture !

RESSENTI : Comment définiriez-vous votre culture juive ? Comment la vivez-vous ?

J’ai grandi dans une culture juive tunisienne, ouverte vers les autres. Il me semble que c’est d’ailleurs un trait de la culture sépharade. A mon sens, il est souhaitable de rapprocher les gens : Juifs et non Juifs, ou Juifs entre eux : ce n’est pas parce qu’on est observant qu’on doit se couper de ceux qui ne le sont pas. A l’image d’Abraham qui n’aspire pas à se couper de la famille humaine bien qu’il ait fait la brit milah qui le singularise, il continue à tisser un lien universel avec le monde qui l’entoure. La dichotomie des Juifs laïcs et des Juifs religieux relève d’une fausse problématique. Enfermer des gens dans des catégories, les cloisonner, ne crée que des dissensions. Hélas, les gens érigent beaucoup de frontières aujourd’hui et c’est bien dommage. Rien n’est parfait.

Ma façon de vivre la culture s’apparente à une expérience infinie. A l’instar de Rachi ou de Maïmonide, je m’enrichis aussi de textes « non juifs ». Quel qu’il soit, un livre peut me remettre en question, une lecture m’apportera un élément qui élargira mes réflexions, le tout dans une certaine continuité. 

MUSIQUE : Quels sont vos musiciens « de prédilection » ? 

J’ai grandi entouré de musique andalouse et arabe. Puis, j’ai découvert et apprécié la musique klezmer ainsi que les mélodies espagnoles, telles les prières de Roch Hachana et de Yom Kippour de rabbi Abraham Ibn Ezra ou encore de Yehuda Halevy. Ces textes de plus mille ans, chantés dans les synagogues, continuent à vibrer à travers différentes tonalités.

Cela me rappelle mon entrée en fonction à Bruxelles où j’ai dû apprendre d’autres musicalités dans la prière, car les traditions du Moyen-Orient diffèrent de celles du Maghreb. Les mélodies sont à la fois ressemblantes et différentes.

Enfin, pour citer quelques chanteurs contemporains juifs, je pense à Georges MOUSTAKI ou à BARBARA, qui ont écrit de très belles choses, ou encore à Jean-Jacques GOLDMAN, auteur detextes puissants sur la Shoah. Chacun porte l’empreinte de son histoire, vécue ou transmise.


LITTERATURE : Quels auteurs, ouvrages, vous ont-ils touché ?

La Bible ! Première référence « littéraire », texte de littérature le plus ancien, livre le plus lu et le plus vendu devant le Petit Prince de Saint-Exupéry ! Ce texte, qui a traversé l’histoire et les civilisations, apporte des réponses aux grandes questions qui se sont posées depuis la nuit des temps : l’origine de l’univers, celle des langues humaines, toutes les facettes de l’être humain, de ses plus grands défauts à ses plus belles qualités.

J’ai aussi eu l’occasion de découvrir des auteurs israéliens, au cours de mon master en hébreu, tels, Abraham BEN YEHOSHUA, Amos OZ et Etgar KERET. Une professeure nous avait également fait étudier de nombreux textes de femmes de lettres défendant leur place dans la littérature hébraïque, certaines sont issues du monde profane, d’autres de la sphère orthodoxe.

ARTS PLASTIQUES : Un.e peintre, sculpteur.trice, artiste, œuvre…

Je pense à Salvador DALI et à son œil visionnaire. Des gouaches originales aux gravures en passant par la sculpture, il a créé de nombreuses œuvres en lien avec le judaïsme. Je suis surpris de son intérêt pour le judaïsme. Il a également consacré une vente importante de ses œuvres au bénéfice d’Israël. L’ancien président d’Israël, Moshé Katsav, n’avait pas tari d’éloges sur lui, saluant sa contribution à l’état hébreu.

J’ai découvert l’œuvre de Félix NUSSBAUM au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris. Ce peintre, qui est passé par la Belgique, a été déporté et assassiné à Auschwitz. Je me souviens d’un autoportrait au passeport – toile qu’il avait signée et sur laquelle figure une étoile jaune portant l’inscription « JUIF/JUDE ». Ses autres œuvres témoignent de son ressenti durant ces années noires. Il avait exprimé son besoin d’être (re)connu et que ses œuvres soient vues. Et c’est sa mémoire et son œuvre que le MAHJ a honorés en lui consacrant une exposition. 

7EME ART : Quels films ou documentaires vous reviennent-ils en mémoire ?

LES AVENTURES DE RABBI JACOB de Gérard Ouri, évidemment ! C’est un film plein d’humanité. Faut-il encore le présenter ? Un antisémite apprivoise le monde juif à son corps défendant, il en apprend beaucoup et il revoit sa copie. Sa métamorphose donne de l’espoir : l’humain peut évoluer ! Quant à la relation entre « rabbi Jacob » et « rabbi Zeligmann », force est de constater que les Juifs et les Musulmans sont naturellement proches sauf lorsqu’on érige des obstacles entre eux. Dire que ce film a failli ne pas sortir en 1973 du fait de la Guerre de Kippour… Il est finalement entré dans l’histoire du cinéma, ses répliques-culte continuent de circuler et les jeunes se réjouissent toujours de le découvrir ! Ce film est intemporel.

Pour la petite histoire, Louis de Funès qui était un catholique fervent s’est glissé dans la peau d’un rabbin et, par l’emblématique séquence de la « danse hassidique », a largement contribué à populariser cette fonction dans le monde des non-Juif. De plus, L’humour et l’empathie qui se dégagent de ce film ont permis de mieux faire apprécier la communauté juive.

PENSEE JUIVE : Etes-vous proche de la/d’une pensée juive /d’un.e philosophe ?

Je me réfère souvent à MAÏMONIDE et à RACHI. Maïmonide était ouvert à la philosophie, y voyant une grille de lecture et d’interprétation pour les textes juifs notamment. Quant à Rachi, il a notamment étudié avec des rabbins allemands.

Il faut aussi savoir qu’au Moyen-âge, et même plus tard, les rabbins français et allemands ont beaucoup apporté à la manière de penser le talmud. Les subtilités de la langue française, riche en synonymes et antonymes, ne se retrouvant pas nécessairement dans d’autres langues, les rabbins trilingues, qui jonglaient entre les langues et les cultures, ont apporté leur souplesse, leur flexibilité aux traductions. De nos jours, les rabbins israéliens apprécient toujours l’étude avec de jeunes Français qui nuancent beaucoup les textes.

SOUVENIR : Pourriez-vous nous confier un moment de partage et de joie de culture juive ?

Je me souviens d’une journée d’étude sur Shavouot. Il s’agissait d’un Yom hatorah organisé sur une péniche dans la région parisienne par le rabbin Mikaël Journo. L’endroit était original et des rabbins et penseurs, hommes et femmes, des quatre coins de France, s’y étaient donné rendez-vous, il y a déjà une dizaine d’années. Les conférences étaient fort intéressantes.

Autre souvenir, lorsque j’étais rabbin à Nantes, j’avais invité de nombreux de notables non-juifs de la ville, à la bar-mitzvah de mon fils en 2014, pour leur faire découvrir cette cérémonie. Il m’importait d’ouvrir le cercle de la communauté juive de Nantes qui comptait à peu près 350 familles aux familles proches, à leurs amis et à toute personne non-juive intéressée par nos rites. J’aime profondément la notion d’ouverture : plus que le mot, ses gestes et ses intentions.

A.K.

Quelques liens :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yoni_Krief

https://maisondelaculturejuive.be/evenements/le-monde-sepharade-maimonide-lhistoire-et-son-oeuvre/

https://www.facebook.com/watch/?v=392897952429044