©António Pedro Ferreira. Vilar Formoso Fronteira da Paz.
Juin 1940, le consul général du Portugal à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes (1885-1954), désobéissant aux ordres du dictateur António de Oliveira Salazar, délivre des milliers de visas à des réfugiés, en majorité juifs, fuyant l’invasion allemande. Châtié par Salazar et mort dans la misère, ce catholique courageux, Juste parmi les Nations (1966), devenu mondialement célèbre, a finalement été honoré par l’État portugais, entrant au Panthéon national de Lisbonne le 19 octobre 2021. Grâce à ses miraculeux visas, les fugitifs affluent à Vilar Formoso, bourgade frontalière et principal point d’entrée au Portugal dans la Deuxième Guerre mondiale. Aménagé dans deux anciens entrepôts de la gare locale, le musée Vilar Formoso Fronteira da Paz, Memorial aos Refugiados e ao Cônsul Aristides Sousa Mendes est le haut-lieu de la mémoire des réfugiés au Portugal et du consul de Bordeaux.
Margarida de Magalhães Ramalho, directrice du musée de Vilar Formoso, a tout d’abord créé un musée virtuel, consacré au consul de Bordeaux et contextualisant son acte de désobéissance aux directives de Salazar qui imposaient des conditions d’accueil restrictives aux réfugiés juifs. La visite du musée Frontière de Paix, ouvert en 2017, commence à côté de la gare, dans un édifice étroit traversé d’une longue galerie hexagonale, plongée dans la pénombre. Aux murs, photos, vidéos et textes décrivent l’Allemagne d’après 1918 et l’ascension du nazisme. Une inscription au sol annonce « le début du cauchemar » : multiplication des mesures antisémites et montée à la guerre. Un couloir tortueux et obscur évoque ensuite le sort des réfugiés juifs et le parcours que leur assignent les nazis, un voyage dans l’obscurité, à gauche, qui finit aux centres d’extermination, marqué par cette séquence filmée d’un train de déportés quittant le camp de Westerbork pour Auschwitz le 19 mai 1944… L’autre embranchement du couloir, à droite, résume le périple incertain des réfugiés vers le Portugal, via Bordeaux et leur rencontre avec Aristides de Sousa Mendes… Cette section de l’exposition honore aussi la mémoire de l’ambassadeur portugais à Budapest, Carlos Sampaio Garrido, et son chargé d’affaires Carlos de Liz-Teixeira Branquinho qui sauvent un millier de Juifs hongrois de la déportation en 1944.
Entrant dans le second entrepôt, nous arrivons à Vilar Formoso, fin juin 1940, dans le Portugal de Salazar. Le dictateur est Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et de la Guerre. Sa police politique, la Polícia de Vigilância e Defesa do Estado (PVDE), sert de police internationale et interdit souvent l’entrée du pays aux réfugiés juifs. Bouleversé par le sort des fugitifs, Sousa Mendes délivre des milliers de visas à des gens de toutes nationalités, sans l’autorisation de Lisbonne. Les autorités espagnoles s’effraient de l’afflux soudain de réfugiés allant au Portugal et alertent Lisbonne. Envoyé à Bayonne l’ambassadeur portugais à Madrid, taxe Sousa Mendes de folie, le démet de ses fonctions et tente d’annuler ses visas. Comme le rappelle l’exposition, l’histoire d’Aristides de Sousa Mendes consul en poste à Anvers en 1929-1938 et dont la fille Isabel a épousé un Belge, est aussi liée aux mémoires de guerre belges : Albert de Vleeschouwer, ministre belge des Colonies, en fuite avec sa femme et ses enfants, obtient des visas d’Aristides qui loge toute la famille dans sa propre maison à Cabanas de Viriato. Le jeune ministre libéral Marcel-Henri Jaspar, dont l’épouse est juive, bénéficie aussi du visa portugais et gagne Londres où le 23 juin 40, à la radio, il appelle les Belges à la résistance. L’ancien premier ministre Paul Van Zeeland, David et Alice Van Buuren, la grande duchesse Charlotte de Luxembourg et de nombreux réfugiés juifs de Belgique et du Luxembourg, gagnent le Portugal grâce aux visas d’ Aristides ! Note sombre sur ce paysage de liberté : en novembre 1940, un train de 300 Juifs du Luxembourg est arrêté par les autorités portugaises à Vilar Formoso et renvoyé en France. Une partie de ces infortunés seront plus tard arrêtés, déportés et assassinés. Une longue liste de noms identifie les passagers de ce « train maudit », dont des témoignages vidéos de survivants relatent le périple.
Aux murs des agrandissements d’articles de la presse portugaise de l’été 1940 documentant l’afflux des réfugiés à Vilar Formoso. Arrivés en train ou en voiture, ils passent souvent plusieurs jours sur place en attendant la validation de leurs documents et fraternisent avec les habitants qui sympathisent avec ces voyageurs en détresse. La scénographie se divise ensuite en une série d’espaces juxtaposés dans un parcours sinueux, d’un lieu d’accueil à un autre. Les réfugiés se dirigent d’abord vers Lisbonne. Le désir des autorités de contrôler les mouvements de ces étrangers, ainsi que leurs contacts avec les Portugais, conduit vite à les éloigner de la capitale, vers des stations balnéaires et des villes d’eau, comme Estoril, Figueira da Foz, Cúria et Caldas da Rainha. Les réfugiés ne sont pas autorisés à quitter ces lieux de résidence forcée sans la permission de la PVDE. Fin 1940, ils sont quelque 10 000 réfugiés dans le pays, en majorité juifs, obligatoirement en transit, dans l’attente de visas pour les USA, l’Amérique latine ou les colonies portugaises. Le gouvernement portugais leur interdit de travailler et ceux qui ne parviennent pas à partir rapidement dépendent des organisations d’aide aux réfugiés, qui renforcent le travail effectué par la Croix-Rouge portugaise, la Communauté israélite de Lisbonne et la Comassis (Commission portugaise d’aide aux réfugiés juifs). Parmi les organisations internationales à Lisbonne, le Joint (American Jewish Joint Distribution Committee) et le Hias/Hicem, une autre organisation juive américaine, soutiennent financièrement les réfugiés juifs et collaborent pour leur fournir des billets et des informations sur les visas et les transports, les aider à s’embarquer, etc. Les visas de séjour au Portugal ne sont valables que pour trente jours, après quoi ils doivent être réévalués par la PVDE. Chaque jour, des réfugiés font la queue devant la PVDE, les consulats, les bureaux de poste et les organisations caritatives. Puis, ils s’assoient sur les bancs des parcs ou aux terrasses des cafés, et avec d’autres réfugiés, échangent des informations, des nouvelles et des rumeurs sur la guerre, avec l’espoir d’un embarquement proche…
D’un lieu d’accueil à un autre, l’exposition met en valeur l’histoire de réfugiés emblématiques, bien documentée par des photos de famille et des documents officiels. Photos de réfugiés de Belgique à Porto : Deborah et Joseph Friedman avec leur fils Marcel bénéficient de visas d’Aristides à Bayonne et sont autorisés à résider à Porto. En octobre 1940, Deborah et Marcel émigrent aux USA , tandis que Joseph, de nationalité polonaise, doit partir au Brésil, avant de pouvoir rejoindre sa femme et son fils qui s’engagera dans l’armée américaine. Hala et Ignas Krakowiak, Juifs polonais résidant à Bruxelles, arrivent à Bordeaux où Aristides de Sousa Mendes leur délivre des visas. Résidant à Figueira da Foz ils se lient d’amitié avec Alberto Malafaia, directeur de la société des eaux. Sous vitrine, une petite poupée offerte en janvier 1942 par Alberto à leur fille de 4 ans, Yvonne, lors de leur départ pour la Jamaïque, où Yvonne décède dans un camp de réfugiés. Ses parents sont admis aux États-Unis en octobre 1943. Photos de la famille de Marcel et Clara Halpern, Juifs de Belgique séjournant à Figueira da Foz avec leurs filles Esther et Judith avant leur départ pour les USA en mars 1941. Photos de Bernhard et Rose Rubin d’Anvers avec leurs enfants Samuel et Flora. À Bayonne ils reçoivent des visas d’Aristides mais comme ceux-ci sont annulés, ils se voient arrêtés à la frontière portugaise, à Elvas, ou le chef de la police les autorise à loger puis les envoie à Caldas da Rainha. Ils. passent la guerre au Portugal puis regagnent Anvers. Tous ces « souvenirs » témoignent de l’exil de ces réfugiés juifs en transit au Portugal et aussi de l’imposant travail de recherche qui a mené à la création de ce musée de Vilar Formoso, Frontière de Paix.
Roland Baumann
Musée Vilar Formoso Fronteira da Paz, Memorial aos Refugiados e ao Cônsul Aristides Sousa Mendes
Mardi-vendredi 9h – 12h30 et 14h-17h30 ; Sa-di 10h-12h30 et 14h-17h30
email : fronteiradapaz@cm-almedia.pt
Pour en savoir plus
Museu Virtual Aristides de Sousa Mendes https://mvasm.sapo.pt/BC
https://sousamendesfoundation.org/the-timeline/
catalogue de l’exposition du musée de Vilar Formoso à télécharger (en portugais) VILAR FORMOSO FRONTEIRA DA PAZ; Universidade NOVA de Lisboa | https://run.unl.pt › AF_Vilar_Formoso_PT
https://fr.wikipedia.org/wiki/António_de_Oliveira_Salazar
https://fr.wikipedia.org/wiki/Polícia_internacional_e_de_defesa_do_estado
https://fr.wikipedia.org/wiki/Aristides_de_Sousa_Mendes
https://en.wikipedia.org/wiki/Carlos_Sampaio_Garrido
https://en.wikipedia.org/wiki/Carlos_de_Liz-Teixeira_Branquinho
Hias/Hicem https://fr.wikipedia.org/wiki/Société_d’aide_aux_immigrants_juifs
https://hias.org/who/our-history/
https://en.wikipedia.org/wiki/American_Jewish_Joint_Distribution_Committee
Pour se plonger dans l’histoire de l’exil juif à Lisbonne en 1940 nous recommandons l’essai de Patrick Straumann, Lisbonne : ville ouverte, Éditions Chandeigne, 2018
https://editionschandeigne.fr/livre/lisbonne-ville-ouverte/
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