Le 30 novembre 2023, une série de nouveaux Pavés de la mémoire seront installés à Schaerbeek. L’un de ces Pavés sera posé en souvenir de Moshé Flinker et des membres de sa famille assassinés à Bergen Belsen. L’occasion est ainsi toute trouvée pour partager avec nos lecteurs l’histoire de ce jeune homme, qui, à l’instar d’Anne Frank, aura laissé derrière lui un carnet de son quotidien et de ses réflexions lorsqu’il qu’il vivait à Bruxelles sous occupation nazie.
Moshé Ze’ev Flinker nait à La Haye le 9 octobre 1926 et mourra à Bergen Belsen en 1944 probablement à cause du Typhus. Après la guerre, l’une de ses soeurs retournera dans leur maison de Schaerbeek et y découvrira les carnets de Moshé. Ceux-ci seront publiés en hébreu par le Yad Vashem en 1958 avant d’être traduit dans différentes langues. En français, le livre se nomme : Carnets de clandestinité, Moshé Flinker, Bruxelles 1942-1943.
Moshé est souvent considéré comme “le Anne Frank” Bruxellois. Pourtant, ces deux documents sont essentiellement différents, bien que tout deux décrivent la vie de jeunes gens juifs pendant la Shoah. Le premier point de divergence tient au degré de religiosité de ces deux personnes. La famille Frank était une famille plutôt laïque, bien que toujours proche de sa culture juive. La famille Flinker quant à elle était beaucoup plus orthodoxe. Cette différence explique leur façon d’interpréter les évènements et l’actualité.
Ensuite, la famille Frank et celles qui la rejoindront ensuite, se cache à Amsterdam dans un appartement avec interdiction de sortir. La famille Flinker est cachée sous une fausse identité à Bruxelles et jouit ainsi d’une plus grande liberté de mouvement. Cette “liberté” est très limitée, bien entendu. Le dernier grand point de divergence est la démarche des deux auteurs. Anne Frank va nous raconter son quotidien, son rapport avec les habitants de leur cachette, ce qui se dit à la radio, etc. Moshé Flinker quant à lui est dans l’introspection et l’analyse. Les évènements, l’avancée de la guerre, etc… deviennent ainsi tant de prétextes qu’utilise Moshé pour approfondir sa réflexion.
Moshé tient son journal du 24 novembre 1942 au 6 septembre 1943, date à laquelle son carnet est rempli. Il écrit principalement en hébreu, bien que nous le retrouvions de temps à autre à écrire en néerlandais, en français et même en arabe. En effet, l’un des éléments qui rend ce texte singulier réside dans la grande érudition du jeune homme. Comme il le montre tout au long de son journal, l’étude tient une place centrale dans sa vie. Il étudie assidûment la Torah mais, également le Talmud. Il lit et mentionne très régulièrement tout au long de son journal la revue Tekoufa, la Revue des Etudes Juives.
Il y a une raison précise au désir de s’instruire que l’on trouve chez Moshé. Il souhaite, quand la guerre sera finie, devenir homme d’état. Mais comme il le dit lui même, pas n’importe quel homme d’état mais, bien un homme d’état hébreu en terre d’Israël. En effet, Moshé Flinker est un sioniste convaincu. Le sionisme revient souvent dans les pensées de Moshé et celles-ci sont tournés vers un futur qui postule que le judaïsme aurait survécu à la guerre. Il est d’ailleurs très critique envers les personnes juives qui pensent que la fin de la guerre nous ramènera au temps d’avant-guerre quand tout était « normal ». Non, pour Moshé, un tel évènement comme celui de l’extermination des Juifs – dont il a une conscience aigue – ne peut en aucun cas nous ramener à un état antérieur. La réalisation de l’état d’Israël sur sa terre ancestrale est pour lui une nécessité absolue et même plus, un précepte divin.
A la lecture du carnet, nous apprenons à découvrir les différentes facettes de la personnalité de Moshé. Il semble se laisser aller lorsqu’il écrit et ainsi des émotions fortes sont parfois décrites : la tristesse, la colère, la haine, la peur,… mais également la joie et l’espoir. Et c’est bien l’espoir qui lui permet de ne pas sombrer dans la tristesse et l’apathie la plus totale. L’espoir de la fin de la guerre, l’espoir de la délivrance des juifs et l’espoir de l’émergence de l’état d’Israël. Néanmoins, il arrive que Moshé ait un discour très durs à l’égard des non-juifs. Il a l’impression de vivre dans un monde qui leur serait diamétralement opposé. En effet, comment peut il se sentir proche d’eux, ils rient et jouent pendant que son peuple souffre et meurt ? Critique qu’il dirigera également contre lui-même, se sentant très privilégié par rapport au des Juifs d’Europe qui progressivement disparaissent…
La vengeance est également un terme qui revient à plusieurs reprises. Pourtant, et comme c’est expliqué vers la fin du livre, il n’est ici aucunement question d’une vengeance physique. Non, la vengeance pour Moshé prend son sens dans la certitude que le peuple juif existera toujours. C’est bien là, la vengeance du judaïsme. Cette vengeance n’est pas à proprement parler tournée contre le monde entier mais, bien contre les antisémites dont l’entreprise sera toujours voué à l’échec.
Nous espérons que nos lecteurs auront eu envie d’en apprendre plus sur la vie de cet auteur tout à fait singulier, qui mériterait d’être plus largement connus. Concluons cet article, avec ce court texte écrit par Moshé sous la forme d’un dialogue entre deux personnes, imaginaire ou réel, mais particulièrement moderne.
On ne peut pas porter comme ça une bible en hébreu.
Pourquoi pas, Monsieur ?
Parce qu’on voit, surtout les Allemands, que vous êtes juif.
Mais pardon, Monsieur, je ne suis pas juif.
Qu’est ce que vous êtes alors ?
Moi, je suis néerlandais.
Mais, en étant néerlandais, c’est encore tout à fait possible que vous êtes juif.
Je suis protestant.
Mais, en étant protestant, vous pouvez encore très bien être juif.
Monsieur, vous m’avez demandé si je suis juif. J’ai répondu que non et puis vous m’avez demandé ce que je suis alors et je vous ais répondu que je suis néerlandais et protestant, et vous m’avez répondu que ça n’exclut pas du tout d’être juif. Mais alors, Monsieur, quelle réponse attendiez-vous en demandant si je suis juif.
EN EFFET, MONSIEUR, ON PEUT TOUT ÊTRE ET EN MÊME TEMPS ÊTRE JUIF.∗
Yonathan Kreisman
∗Moshé FLINKER, Carnets de clandestinité, Moshé Flinker, Bruxelles 1942-1943, Calmann Levy, p 151-152.
Pour en savoir plus :
Page de l’évènement des cérémonies des pavé de la mémoire : https://maisondelaculturejuive.be/evenements/pave-de-memoire-pour-moshe-flinker/
Page de l’éditeur : https://www.calmann-levy.fr/livre/carnets-de-clandestinite-9782702160954/
Article d’Aurélie Collart sur Moshé Flinker pour l’IEJ : https://www.iejudaisme.com/post/moshe-flinker-journal-d-un-enfant-cach%C3%A9-%C3%A0-bruxelles
Page wikipedia de Moshé Flinker en hébreu : https://he.wikipedia.org/wiki/%D7%9E%D7%A9%D7%94_%D7%96%D7%90%D7%91_%D7%A4%D7%9C%D7%99%D7%A0%D7%A7%D7%A8
Article en anglais qui parle des jeunes auteurs de journaux pendant la Shoah, en allant au-delà de Anne Frank : https://lithub.com/beyond-anne-frank/