Le Raalbol de Foestraets – La Parasha Beha’aloteha

Beha’aloteha (Quand tu disposeras les lampes)

Le peuple se prépare à entamer la seconde partie du voyage dans le désert, non plus celui depuis l’Egypte, mais désormais vers la Terre promise.
Moïse confectionne deux trompettes d’argent. Elles doivent servir à mettre le peuple en marche.

Elles symbolisent les deux fondements d’un peuple.
Le Rav Soloveitchik décrit en effet deux manières de construire un groupe.
La première est l’union contre un ennemi commun, ils forment un camp (mahaneh).
Ou, ils partagent un idéal commun, dont ils sont le témoin (edah), ils forment une congrégation.
Le camp est défini par ce qui lui arrive, des événements extérieurs.
Alors que la congrégation est fondée sur sa propre décision.
Les Juifs forment un peuple de ces deux manières différentes.
Nos ancêtres sont devenus un mahaneh en Égypte, forgés ensemble dans le creuset de l’esclavage et de la souffrance. Ils étaient différents.

Nous partageons une histoire trop souvent écrite dans les larmes. Le rabbin Soloveitchik appelle cela l’alliance du destin (brit goral).
Cela conduit aussi à un sentiment de souffrance partagée. Lorsque nous prions pour le rétablissement d’un malade, nous le faisons “parmi tous les malades d’Israël”. Lorsque nous réconfortons une personne en deuil, nous le faisons « parmi toutes les autres personnes en deuil de Sion et de Jérusalem ». Nous pleurons ensemble. Nous célébrons ensemble. Cela conduit à son tour à une responsabilité partagée : “Tous les Israélites sont garants les uns des autres”.
Ce sont là des dimensions de l’alliance du destin, nées de l’expérience de l’esclavage en Égypte.

Mais il y a un élément supplémentaire de l’identité juive. Soloveitchik appelle cela l’alliance du destin (brit ye’ud) – conclue au mont Sinaï. Cela définit le peuple d’Israël non pas comme l’objet de persécution mais comme le sujet d’une vocation à devenir « un royaume de prêtres et une nation sainte ».

Dans notre monde, il nous revient de construire des ponts, de reconnaître l’autre. D’agir pour le bien commun. Si nous ne sommes qu’un camp, en réaction, notre posture est défensive, le collectif en est déforcé. Dans nos prières en faveur des malades et des endeuillés, c’est l’humanité qui doit être incluse.

La paracha doit nous inspirer ce sentiment collectif qui inclut toute l’humanité. Puisqu’au moment de se mettre en route,  Moïse dit à Hovav, fils de Re’uel le Midyanite, beau-père de Moïse : Nous voyageons vers le lieu dont l’Éternel a dit : Je te le donnerai ; tu devrais aussi venir avec nous, et nous serons bons envers toi en te donnant une partie du terrain ; comme l’Éternel a parlé du bien d’Israël.

 

Les plaintes du peuple

La paracha relate également un épisode particulièrement étonnant au sujet de Moïse.
S’étant mis en route, le peuple, à nouveau, se plaint. Cette fois, de la nourriture, il souhaite recevoir de la viande.

Moïse a guidé le peuple pendant deux années vers le désert, face à un avenir incertain.
Tous les murmures, dit Nahmanide, proviennent de leur angoisse et de leur apitoiement sur eux-mêmes.
Englués dans une vision nostalgique et erronée de leur passé, ils se complaisent dans leurs amères critiques, et deviennent incapables de partager une vision et une stratégie pour leur avenir.

Pour Rabbi Samson Raphaël Hirsch, les Hébreux recherchent désespérément une voie pour échapper à leur mélancolie. Ils recherchent l’excitation, la stimulation, des expériences nouvelles et des nourritures variées. Les lamentations qu’ils expriment à Moïse expriment leur besoin de trouver de nouveaux défis, de nouvelles visions, de nouvelles occasions et de nouvelles possibilités.

Plusieurs commentateurs pensent que les Hébreux se sont révoltés contre les commandements règlementant les relations sexuelles ou encore la kacherout. Rabbi Reuven P. Bulka rappelle que “l’un des éléments essentiels du mode de vie fondé sur la Torah est de proposer une conduite fondée sur la maîtrise de soi qui, seule, permet de vivre une existence de plénitude. Le judaïsme propose un style de vie basé sur une autodiscipline qui est l’élément indispensable pour arriver à une meilleure réalisation de soi”. Il écrit: “C’est peut-être cette notion de contrôle qu’introduit le don quotidien de la manne. La révolte contre cette limitation est devenue une rébellion contre le mode de vie juif en généal. Les rebelles rejetaient toute notion de contrôle et de limitation. A la place de cela, ils exigeaient une vie leur apportant la satisfaction immédiate de leurs désirs.

 

Le désespoir de Moïse

Ces plaintes poussent Moïse dans ses retranchements. Il ne supporte plus le poids de ses responsabilités et souhaite mourir.
Moïse semble manquer de la détermination inébranlable qu’il avait dans le Livre de l’Exode. Parfois, comme dans l’épisode des espions qu’on abordera la semaine prochaine, il semble étonnamment passif, laissant aux autres le soin de mener la bataille. À d’autres moments, il semble perdre le contrôle et se met en colère, ce qu’un leader ne devrait pas faire.
Mais au niveau le plus simple, nous voyons certaines caractéristiques communes, du moins parmi les prophètes bibliques : une volonté passionnée de changer le monde, combinée à un profond sentiment d’inadéquation personnelle.

Moïse n’était pas le seul prophète à prier pour mourir.
Trois autres l’ont fait : Élie, Jérémie et Jonas. Les Psaumes, en particulier ceux attribués au roi David, sont parcourus de moments de désespoir.
Le judaïsme est une inspiration pour ceux qui cherchent à changer le monde. La plupart des religions consistent à accepter le monde tel qu’il est.
Le judaïsme est une protestation contre le monde qui est au nom du monde qui devrait être.
Être juif, c’est être humain, c’est chercher à faire une différence, à changer des vies pour le mieux, à guérir certaines des cicatrices de notre monde fracturé.
Mais les gens n’aiment pas le changement. C’est pourquoi Moïse, David, Elie et Jérémie ont trouvé la vie si difficile.

 

La désignation de 70 sages

Pour alléger son fardeau, il est conseillé à Moïse de désigner 70 sages, comme Jethro l’avait fait.
De quelle manière la nomination d’anciens répondrait elle à la crise interne que Moïse traversait ?
Avait-il besoin d’eux pour l’aider à trouver de la viande ? Clairement pas.

Avait-il besoin d’eux pour partager les charges du leadership ? La réponse est encore non. Déjà, peu de temps auparavant, sur les conseils de son beau-père Yitro, il avait créé une infrastructure de délégation.

Ces 70 Anciens ont un double effet sur Moïse: d’une part, il comprend à leur contact qu’ils adhèrent au changement qu’il a initié. D’autre part, il augmente considérablement sa capacité d’influence. En effet, lorsque le pouvoir est divisé, il est affaibli, mais lorsque l’influence est partagée, elle est multipliée.
Moïse est désormais apaisé.

Cet épisode est également l’occasion pour Moïse de donner une leçon à Joshua: Alors qu’ils ne sont pas choisis parmi les 70 sages, Eldad et Meidad annoncent la mort de Moïse et son remplacement par Joshua. Joshua demande qu’ils soient incarcérés. Moïse considère que Joshua fait preuve de zèle.11:29: “Puisse-t-il que tout le peuple du Seigneur soit prophète”.

 

La maladie de la médisance

Enfin, la paracha relate également les critiques de ses propres frère et sœur, notamment au sujet de l’épouse éthiopienne de Moïse.

Parce que l’histoire de Miriam et d’Aaron parlant négativement de Moïse ne précise pas leurs motivations, les interprètes de la Torah ont laissé libre cours à leur imagination. Il ne faut donc pas s’étonner si l’histoire continue à susciter le débat.
Est-ce la jalousie ou la préoccupation pour le rôle de dirigeant de Moïse qui amena son frère et sa sœur à protester contre son mariage avec une kouchite (femme de Kouch)? Personne ne peut en être sûr. Néanmoins, chacune des explications de nos commentateurs soulève d’importantes questions éthiques concernant le comportement humain et la résolution des conflits.

Ainsi, Bahyah ben Yosef Ibn Pakoudah rappelle: “Si un de vos amis vous est supérieur… en actes… ne permettez pas à votre esprit malin de dire: “Il faut retourner l’opinion des autres contre lui, débusquer ses fautes, répandre des accusations mensongères sur son compte afin d’affaiblir sa réputation.” Au lieu de cela, dites à votre esprit malin: “Rappelez-vous de Miriam et Aaron lorsqu’ils parlèrent contre Moïse”.”

Myriam contracte le tzaraat, la maladie liée à la médisance et est isolée du camp.
Moïse fait preuve d’une grande humilité et prie pour sa sœur. Cette attitude est à contre-courant de ce que l’on peut attendre d’une figure de leadership.

C’est pourtant à cette occasion que l’on trouve dans le texte l’unique caractéristique décrite explicitement: “Cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu’aucun homme qui fût sur terre”.

Comment comprendre ce qui constitue l’humilité?
Le Prophète Jérémie, qui vécut 700 à 800 ans après Moïse, eut les propos suivants: “Ainsi parle l’Eternel: Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le vaillant ne se glorifie pas de sa vaillance, que le riche ne se glorifie pas de sa richesse! Que celui qui se glorifie se glorifie uniquement de ceci: d’être assez intelligent pour Me comprendre et savoir que Je suis l’Eternel” (Jr 9:22).

On lit à ce propos dans le Talmud: “Tous les prophètes regardaient dans un miroir imparfaitement clair, tandis que notre maître Moïse regardait dans un miroir parfaitement clair”. Seul l’homme parvenu au niveau atteint par Moïse, qui “comprenait et connaissait Dieu” réellement, lui seul sait que l’homme ne peut ni comprendre ni connaître Dieu. Il atteint alors à la plus vraie et à la plus haute humilité.

Les sages enseignent que la fausse humilité consiste à prétendre qu’on est petit. La vraie humilité est la conscience de se tenir en présence de la grandeur, c’est pourquoi c’est la vertu des prophètes.
Comme l’a sagement dit C. S. Lewis : “l’humilité ne consiste pas à penser moins de soi-même. Il s’agit de moins penser à soi”.

Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks

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