Prométhée se faisant manger le foie à gauche. Adam et Eve à coté de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal à droite.
Pourquoi la paracha s’appelle shemini (le huitième)
C’est le huitième jour que le Tabernacle fut inauguré.
Au premier jour de la création, c’est Dieu qui crée la lumière céleste. Mais elle commença à s’estomper à la fin du shabbat, et Adam apprit à créer le feu en frottant deux silex.
Ce récit s’inscrit en contradiction avec le mythe grec de Prométhée. Pour les Grecs, les dieux étaient essentiellement hostiles à l’humanité. Zeus voulait garder secret l’art de faire du feu, mais Prométhée a volé une étincelle et a enseigné aux hommes comment le faire. Une fois le vol découvert, Zeus le punit en le faisant enchaîner à un rocher, avec un aigle lui picorant le foie.
On retrouve le principe de résistance de Prométhée dans le judaisme. Il revient aux êtres humains d’exercer leur pouvoir : de manière responsable, créative et dans les limites fixées par l’intégrité de la nature.
La mort de Nadav et Avihou
Shemini décrit la fin de la construction du Tabernacle.
Aaron, le Grand Prêtre, le sert avec ses fils.
Moïse demande à Aaron de procéder au sacrifice, mais Aaron ne se pense pas digne de s’approcher de l’autel, il souffre du syndrome de l’imposteur et pensait probablement qu’il n’avait pas été à la hauteur lorsqu’il était en charge du peuple au moment du veau d’or.
Moïse lui dit: “Tu as été choisi pour ça! C’est ta responsabilité de guider le peuple dans la repentance, parce que tu connais les conséquences du pêché. Ta faiblesse devient ta force.”
Soudain, ses deux fils, Nadav et Avihou, allument un feu qui n’est pas conforme au rituel et meurent instantanément.
Les commentaires sur cet épisode sont nombreux.
Certains considèrent que Nadav et Avihou étaient dévorés par l’ambition, ou n’étaient pas respectueux des rites par arrogance, ou encore par manque de respect, de maturité et de connaissance.
David Hume (1711-1776), le philosophe écossais, a écrit « la corruption des meilleures choses produit les pires ».
Il y a, dit-il, deux façons dont la religion peut mal tourner : par la superstition et par l’enthousiasme.
La superstition est motivée par l’ignorance et la peur. Nous pouvons parfois avoir des angoisses et des terreurs irrationnelles, et nous les traitons en recourant à des remèdes tout aussi irrationnels.
L’enthousiasme est le contraire. C’est le résultat d’un excès de confiance.
L’enthousiaste, dans un état de ravissement religieux élevé, en vient à croire qu’il est inspiré par Dieu lui-même, et est ainsi habilité à ignorer la raison et la retenue.
Les enthousiastes étaient des gens qui, pleins de passion religieuse, croyaient que Dieu les inspirait à faire des actes au mépris de la loi et des conventions.
Cet épisode nous enseigne que le rituel peut avoir pour fonction d’établir les limites entre enthousiasme et zèle, la foi donnant cours à une forme d’idolâtrie.
Yeshayahou Leibowitz rappelle lui aussi que le culte lui-même, s’il n’est pas accompli avec la pleine conscience de l’homme de servir Dieu, mais répond à une impulsion intérieure de rendre un culte à Dieu, il devient une sorte d’idolâtrie, malgré la pureté de l’intention.
La spontanéité est-elle condamnable?
Si oui, pourquoi Moïse n’est-il pas mort? Il a pourtant brisé les tables de la loi.
Une réponse est liée à la différence de statut, et de fonction.
Moïse est un prophète, dont la mission évolue, comme tous les prophètes qui se sont adaptés à leur temps.
Les cohanim sont des prêtres, leur rituel est précis et immuable (en tout cas à l’époque du Tabernacle puis du temple).
Le judaïsme se fonde sur l’équilibre entre la spontanéité des prophètes et la structure des prêtres.
Aaron est dévasté. Moïse lui rappelle toute les épreuves par lesquelles ils sont passés (sortie d’Egypte, bataille contre Amalek, veau d’or) et lui demande de ne pas abandonner car s’il a perdu ses fils, c’est parce que leur acte était fautif, mais leurs intentions étaient bonnes, ils en ont malheureusement fait trop. Ce qu’Aaron accepte.
Mais Moïse lui rappelle également qu’il a une responsabilité envers le peuple, il doit diriger le rituel. Aaron lui répond qu’il accepte cette responsabilité, mais qu’il ne peut agir comme si rien ne s’était produit, parce qu’alors il perdrait son humanité. Aaron ne perd pas sa foi, mais il ne permet pas à sa foi d’effacer son humanité.
Cet équilibre est essentiel, il est également décrit par Daniel Kahenman au sujet du cerveau humain: “penser vite et lentement”. Le cerveau rapide, le système limbique, donne lieu à des émotions, notamment en réponse à la peur. Le cerveau lent, le cortex préfrontal, est rationnel, délibératif et capable de réfléchir aux conséquences à long terme de plans d’action alternatifs. Ce n’est pas par hasard que si nous avons les deux systèmes. Sans réponses instinctives déclenchées par le danger, nous ne survivrions pas. Mais sans le cerveau délibératif plus lent, nous nous retrouverions à maintes reprises dans un comportement destructeur et autodestructeur. Le bonheur individuel et la survie de la civilisation dépendent de la recherche d’un équilibre délicat entre les deux.
Les règles de casherout
La paracha établit également la liste des animaux casher.
Les animaux terrestres ne sont autorisés que s’ils sont à la fois ruminants et ont le sabot fendu. Les poissons doivent avoir des écailles et des nageoires. Une liste d’oiseaux non cashers est donnée, ainsi qu’une liste d’insectes cashers (quatre espèces de sauterelles).
D’après Maïmonide, ces prescrits sont établis sur des fondements sanitaires et hygiéniques.
Arama et Abravanel le contredisent parce que la Torah ne peut être réduite à un manuel médical. Les interdits seraient liés à la nécessité d’appliquer une discipline à ce qui entre dans le corps, et préserver la pureté de la bouche qui permet d’exprimer la pensée et la prière.
David Luzzatto rappelle que ces interdits introduisent une dimension spirituelle dans un acte quotidien, et que leur objet est de préserver l’identité juive. Les règles alimentaires du judaïsme sont donc un chemin vers l’aboutissement. Milton Steinberg enseigne que leur observance préserve le peuple juif de l’assimilation afin qu’il puisse poursuivre sa mission qui est d’enrichir le monde par ses valeurs éthiques et spirituelles.
Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks