Le Raalbol de Foestraets – La Parasha Nasso

La paracha Nasso aborde de nombreux sujets très variés (elle est particulièrement longue). On peut se demander le lien entre les offrandes et tâches respectives des douze tribus, la procédure du Sotah concernant l’adultère, ou encore le statut des Nazirites qui s’apparente à celui des Cohanim pour ceux qui ne naissent pas avec ce statut particulier.

Le Rav Sacks y trouve un fil conducteur: il s’agit des mesures prises afin d’assurer la paix au sein du peuple. Il est ainsi fondamental de faire preuve de considération à l’égard de chacun, de n’exclure personne, de mettre en place les procédures permettant de ramener considération et concorde.

La bénédiction des Cohanim

Le plus ancien fragment de littérature biblique, datant de 2700 ans (période du premier temple), est aujourd’hui conservé au Musée d’Israël à Jérusalem et contient 15 mots, extraits des bénédictions sacerdotales, provenant de la paracha Nasso:

“L’Éternel te bénira et te gardera ;
L’Éternel illuminera son visage vers toi et te sera bienveillant ;
L’Éternel élèvera son visage vers toi et te donnera la paix.
Alors ils mettront mon nom sur les Israélites, et je les bénirai.”

יְבָרֶכְךָ יְהוָה וְיִשְׁמְרֶךָ.
יָאֵר יְהוָה פָּנָיו אֵלֶיךָ וִיחֻנֶּךָּ.
יִשָּׂא יְהוָה פָּנָיו אֵלֶיךָ וְיָשֵׂם לְךָ שָׁלוֹם

Par ce verset, les Cohanim bénissent le peuple, et les parents bénissent leurs enfants.
Chacun des vers décrit l’effet de la bénédiction sur nous: protection, grâce et paix.

Que signifie “Qu’il te sera bienveillant (qu’il te fasse grâce)”? Le livre des Proverbes l’explique : “Que la gentillesse et la vérité ne vous quittent pas”.
Le point soulevé par la Torah, est que ce qui compte n’est pas la façon dont nous nous voyons, mais la façon dont nous voyons, traitons et nous comportons envers les autres. Le monde ne manque pas de personnes importantes. Ce qu’il manque, ce sont ceux qui font que les autres se sentent importants – qui “lèvent la tête”.

En ce qui concerne la Paix, le commentateur espagnol du XVème siècle Isaac Arama considère qu’il s’agit de l’exhaustivité, la perfection, le fonctionnement harmonieux d’un système complexe, la diversité intégrée, un état dans lequel chaque chose est à sa place et tout est en harmonie avec les lois physiques et éthiques qui régissent l’univers.

Notons que la plupart des prières sont écrites au pluriel, démontrant le caractère collectif de la foi, alors que les bénédictions sacerdotales sont au singulier, soulignant l’importance de chaque vie individuelle: “Qu’il élève son visage vers soi”, car nous ne sommes pas un visage indiscernable dans la foule. C’est la source intérieure de la paix la plus profonde.

Recensement
La paracha revient également sur le recensement. Dans l’antiquité, le recensement avait pour objectif de mesurer la taille, et donc la force du peuple. Il permettait à son dirigeant (dont le statut était comparé à celui d’une divinité), d’établir sa capacité militaire ou économique, en oppressant le peuple, la masse, considérée collectivement. Le Roi David lui-même a procédé au recensement, qui fut suivi après le règne de Salomon par la décadence du royaume et sa scission.
Pourtant, durant la sortie d’Egypte, trois recensements sont ordonnés. Mais ceux-ci ont pour objectif d’affirmer la valeur individuelle de chacun, sans préoccupation de fonction, grade ou classe. C’est la raison pour laquelle ce comptage est décrit comme Nasso/Se’U Roch: “lever la tête”. Cette approche est révolutionnaire pour l’époque, elle est exprimée par la prophète Zacharie: “Ni par la puissance, ni par la force, mais par mon esprit”.

Nazirites
La paracha décrit également les règles appliquées aux nazirites, qui s’imposent, par serment et pour une durée limitée (généralement 30 jours), de ne pas consommer d’alcool, ne pas se couper les cheveux, et éviter les contacts avec les morts.

Les sages sont divisés quant à ce qui est considéré comme une piété extrême.

Si la bible décrit le nazarite comme un saint, il est toutefois prévu qu’à la fin de la période, il doive faire une offrande. A-t-il commis un pêché?

Nahmanide considère que son pêché consiste à retourner dans le monde, alors que le nazirite avait choisi de s’en séparer.
Pour d’autres sages, comme Samuel, s’imposer le renoncement aux plaisirs du monde créé par Dieu est un pêché.
Maïmonide semble adopter les deux points de vue. Il déclare qu’on ne peut s’imposer une telle abnégation, seuls les interdits de la Torah doivent être respectés. Mais il déclare également que le nazirite est saint.
Il considère en effet qu’une telle piété est louable au niveau individuel, mais aussi que le sens du judaïsme est la célébration de la vie, ce qui implique nécessairement l’engagement dans le monde.
Afin de résoudre cette contradiction, Maïmonide explique qu’il y a deux modèles de vie vertueuse: celle du hassid (saint) et celle du hakham (sage).
Le premier (hassid) est extrême dans l’application des principes et dépasse ce qu’exige la stricte justice.
Le sage, quant à lui, est adepte du juste milieu et évite les extrêmes (ni trop, ni trop peu).

Maimonide indique en effet que l’abnégation du saint, sa recherche de perfection personnelle,  rend impossible de faire société. Le sage, au contraire, sait qu’il ne peut abandonner tous ses engagements pour poursuivre une vie de vertu solitaire.

Ce propos est approfondi par le mouvement hassidique et de nombreux commentateurs modernes, considérant l’approche positive de la tradition juive pour les plaisirs de la vie et que l’attitude antisociale contribue à se séparer de ceux qui luttent pour l’amélioration de l’être humain.

Réfléchir à l’exemple que nous propose la Torah de l’engagement et de la vie du nazir peut nous proposer un message symbolique important. L’interdiction du vin par exemple peut nous servir de signal du danger que représente toute dépendance et de la nécessité de garder un esprit clair. Le commandement concernant l’interdiction de la coupe de cheveux peut nous mettre en garde contre une tentation narcissique et la recherche de la parfaite image de soi.

 

Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks

Partagez l'article