L’histoire de la rébellion de Korach a été un défi désastreux pour Moïse.
Le Rambam mentionne que cet épisode n’était possible que suite à celui des espions, à la sanction qui empêchera toute une génération de rejoindre la Terre promise, produisant un immense désespoir.
C’est alors que Korach défie le leadership de Moïse.
La rébellion de Korach
Il y avait trois parties à la rébellion, chacune avec ses propres revendications.
1. Korach lui-même, le cousin de Moïse et Aaron, indigné que le pouvoir suprême soit allé à une seule famille, celle de son oncle Amram (le père de Moïse, Myriam et Aaron), alors que Yitzhar, frère aîné d’Amram, n’avait reçu aucun honneur équivalent.
2. Ensuite les Reubenites, Datan et Aviram, qui considéraient que leur tribu, celle du premier né de Jacob, n’avait pas reçu la part de fonctions dirigeantes qui leur revenait.
3. Enfin il y avait les 250 dirigeants qui pouvaient avoir considéré qu’ils n’avaient pas reçu les honneurs appropriés dans le service du temple. Après le veau d’or, les tâches des premiers nés ont été confiées uniquement à la tribu des Levi.
Les rebelles sont donc venus en groupe, accuser Moïse et Aaron: “Vous êtes allés trop loin! Toute la communauté est sacrée, chacun d’eux, et l’Eternel est parmi eux. Pourquoi vous présentez-vous au-dessus de l’assemblée de l’Eternel?”
La plainte de certains Lévites porte sur l’honneur fait à Aaron, pas sur la désignation de Moïse comme leader.
Mais Moïse le prend personnellement.
Sa réaction est inattendue. Il en appelle à un miracle afin de prouver qu’il dirige conformément à la volonté divine. Il demande que la terre s’ouvre et engloutisse les rebelles. Ce qui se produisit.
Réagissant avec autorité, et condamnant les rebelles, Moïse attise encore l’esprit de révolte.
Dès le lendemain, les hébreux s’en prennent à Moïse, qui vient de condamner une partie de son propre peuple.
L’usage de la force n’avait pas mis fin au conflit, mais y avait ajouté plus doléances.
Pour la première fois, Moïse se comporte comme un autocrate, et il échoue.
Il faudra le miracle du bâton d’Aaron pour apaiser le peuple. Les dirigeants, en ce compris Aaron, posent chacun un bâton dans la tente d’assignation pendant la nuit. Seul celui d’Aaron fleurit parmi les 12 tribus, ce qui ramènera le calme, par la force de la persuasion.
Le premier populiste
Korach était l’un des premiers populistes. Il fondait sa politique sur la colère.
Le 20ème siècle a montré que derrière le populisme se cache la tyrannie. Le rejet des dirigeants démocrates pousse la population à soutenir les populistes qui se présentent comme la voix légitime du peuple, et leur attribue des pouvoirs étendus, au mépris des droits fondamentaux.
Korach utilise les ressorts typiques du populisme:
1. Korach prétend que Moïse et Aaron sont corrompus: Moïse ferait preuve de népotisme en désignant Aaron.
2. Korach prétend être désigné par le peuple. C’est toute la communauté qui est sacrée. Il délégitimise Moïse.
3. Les rebelles diffusent des fake news, Moïse doit se défendre de s’être attribué un âne.
Le Talmud valorise par sa méthode la diversité d’opinion, le maintien d’un lieu d’expression pour les opinions divergentes et minoritaires, tels sont les enseignements de l’étude.
Se fondant sur l’épisode de la rébellion de Korah, le Pirké Avot distingue deux types de disputes: celles au “nom du ciel”, c’est-à-dire pour la recherche de la justice et de l’équité, et celles qui sont générées pour des raisons égocentriques et sans autre but que celui d’avoir raison. Pour donner des exemples, les rabbins citent les disputations entre Hillel et Chammaï dont les arguments étaient uniquement éthiques ou halakhiques. Pour le second exemple, les rabbins citent la révolte de Korah et de ses partisans.
Dans l’interprétation du Talmud, l’ensemble des arguments sont pris en considération. La Méthode est plus importante que le résultat de la controverse. Hillel reprenait systématiquement les arguments de Chammai et les exposait avant les siens.
Si vous voulez comprendre une accusation, regardez l’accusateur, non l’accusé.
Korach, Datan, Aviram et leurs co-conspirateurs voyaient le leadership comme un statut, un pouvoir, une forme de supériorité. C’est ce qu’ils souhaitaient obtenir. Mais le leadership juif n’est pas comme ça, ou en principe ne peut pas l’être. Le judaïsme est fondé sur le principe non négociable de la dignité de la personne humaine.
Le statut de peuple saint
Korach prétend fonder la rébellion sur le principe d’égalité. Pourquoi confier des responsabilités spécifiques à certains si le peuple doit devenir “un royaume de prêtres et une nation sainte”? Un leadership hiérarchisé semble contraire à cette idée. Samuel avertira aussi le peuple des dangers de désigner un roi.
En outre, Korah nie l’importance de la loi. Il dit: “Qui a besoin d’un système d’obligations et d’interdits, de “tu feras” et de “tu ne feras pas” puisque nous sommes tous déjà saints?”
Enfin, le philosophe Martin Buber estime que Korah, comme Moïse, désire que le peuple soit un peuple saint. Pour Moïse tel était le but. Et, afin de l’atteindre, génération après génération, il faut que les individus choisissent… entre la voie de Dieu et le chemin erroné de leurs cœurs, entre la vie et la mort… Pour Korah, le peuple est saint par nature… C’est pourquoi il ne voyait pas la nécessité de poser la question du choix ou de la responsabilité.
Rappelons-nous que juste avant notre paracha, la paracha Shelah Leha se termine par le commandement des tzitzit, et dont les versets cloturent le shema, la prière quotidienne. Ce commandement ordonne “Vous serez saints”.
La paracha Korah, dont le texte est contigu du passage sur les tzitzit, cite les protagonistes de la révolte qui considèrent que la sainteté n’est pas un objectif à atteindre mais le statut du peuple élu.
Les commentaires et la littérature rabbinique se divise ultérieurement entre ceux qui considèrent ainsi que la sainteté dépendra du comportement, de l’action de chacun, face à ceux qui considèrent que la sainteté est déjà acquise.
Maïmonide appartient à la première catégorie, considérant que l’essentiel est dans l’effort, dans la poursuite des commandements, même si leur respect complet est impossible.
A l’inverse, la paracha mentionne que les enfants de Korah survécurent, signifiant que leur conception de la sainteté du peuple comme statut a perduré. Yeshayahou Leibowitz cite ainsi le Kuzari (poète et philosophe du Moyen Age) ou le Rav Kook.
Conclusion
L’erreur de Korach concerne le statut qu’il croit être accordé à Moïse et Aaron. Il ne s’agit pas de les placer au-dessus du peuple, dans le sens commun du leadership. Aucun prophète ou prêtre n’étant détenteur d’un pouvoir personnel.
Dans le Judaïsme, le leadership n’est pas une question de statut mais de fonction. Le leader a une fonction de coordination. Diriger, c’est servir.
Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks