Le Raalbol de Foestraets – La Parasha Bekhoukotaï

Baruch Spinoza sur la pochette d’album Master of Puppets de Metallica

 

 

Bekhoukotaï décrit avec précision, et effroi, les conséquences pour le peuple juif s’il ne respectait pas les termes de son Alliance. Cette tochachah (malédiction) est décrite avec une telle précision qu’elle est prononcée à voix très basse.
Pourtant, Bekhoukotaï termine en affirmant que, même dans ces circonstances, le peuple juif ne disparaîtrait pas. Cette conviction est particulièrement lourde à porter, elle nécessite qu’on lui donne un sens.

Récompenses et punitions: les conséquences de nos choix

De nombreuses croyances enseignent que l’histoire du monde est cyclique.
Une analyse de l’histoire juive pourrait également le laisser penser, avec des périodes de calme, puis celles d’oppression et de tragédie qui se succèdent indéfiniment.

L’Ecclésiaste l’évoque également: “Ce qui a été, sera encore; ce qui a été fait se fera encore, rien de neuf sous le soleil.”
Ce passage est singulier, en ce que le principe de toute la Torah est fondé sur l’espoir, et la capacité des individus de modifier leur destin.

Les anciens grecs ont développé la tragédie, le destin. C’est la conviction que notre sort est pré-établi, quels que soient les actes que l’on pose.
Le judaïsme est le rejet de principe de la tragédie au nom de l’espoir (il n’y a pas de traduction au terme “tragédie” en hébreu ancien).
Le judaïsme insiste autrement : que la réalité qui sous-tend l’univers n’est pas sourde à nos prières, aveugle à nos aspirations, indifférente à notre existence. Il s’agit de s’efforcer de perfectionner le monde, en refusant d’accepter l’inévitabilité de la souffrance et de l’injustice.
Par nos actes, on peut changer ce qui est prévu.

L’espoir est essentiel pour que l’individu et la collectivité agissent moralement, c’est-à-dire qu’ils construisent une société fondée sur des valeurs de justice, de liberté et d’égalité.
C’est une approche utilitariste de la foi. Cette croyance que les fondements moraux du monde, de l’existence humaine, de valeurs universelles et partagées, doit nous permettre d’établir les balises, de guider chacun dans son comportement en société.

C’est une définition de la responsabilité individuelle. Sartre la décrit comme une responsabilité absolue: “La conséquence essentielle de nos propos précédents est que l’homme, étant condamné à être libre, porte le poids du monde entier sur ses épaules, il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d’être.”
Dans le judaïsme, nous ne sommes responsables que de ce que nous aurions pu empêcher mais ne l’avons pas fait.

Le lien entre destin et vocation

Le cadre de l’Alliance est une politique morale, établissant un lien élémentaire entre le destin d’une nation et sa vocation. Il s’agit d’un État en tant que question non de pouvoir mais de responsabilité éthique.
Spinoza considérait que le judaïsme tel qu’il était vécu à son époque, imposant des règles d’observance strictes, visait à déresponsabiliser les individus.
Le fondement du judaïsme, tel qu’exprimé dans Bekhoukotaï, pourrait être tout l’inverse.

La tradition juive enseigne-t-elle que les nations et les individus sont punis par Dieu pour leurs mauvais choix, pour ne pas vivre en accord avec les lois de la Torah?
Les rabbins considèrent que la Torah est la ligne de vie du peuple juif.
S’ils s’y accrochent fidèlement et pratiquent ses commandements, ils vivront.
S’ils l’abandonnent et l’ignorent, ils périront. Les récompenses et les peines sont liées aux choix qu’ils font (Tanhouma, Buber sur Nombres p.74).

Le onzième principe de la foi de Maïmonide (Ani maamin) définit le libre arbitre: s’ils font le bien, ils seront récompensés par le bien. S’ils choisissent le mal, ils souffriront de pénibles conséquences.

Comment expliquer la souffrance des Justes?

Certains penseurs considèrent que nos bonnes et mauvaises actions sont récompensées ou punies dans le monde à venir, et pour l’éternité.
Au contraire, d’autres considèrent que ce qui nous définit en tant qu’humains est notre liberté de nous blesser les uns les autres.

Le Rabbin Kushner, dont le fils adolescent est mort d’une maladie rare, enseigne: “Je ne crois pas que Dieu provoque le retard mental des enfants, ou choisit qui doit souffrir de dystrophie musculaire. Le Dieu auquel je crois ne nous envoie pas le problème, il nous donne la force de faire face au problème.”

Il ne s’agit pas de construire notre société par la crainte, mais d’utiliser les enseignements de la Torah comme guide vers l’établissement d’un monde plus juste.
L’espoir, la capacité de se tourner vers l’avenir, émane de cette promesse que quoi qu’il advienne, malgré les souffrances, rien ne pourra altérer l’aspiration du peuple juif de mettre en œuvre ces enseignements.

L’un des plus importants principes est le suivant : une nation ne peut pas s’adorer et survivre. Tôt ou tard, le pouvoir corrompra ceux qui le détiennent. Pour rester libre, une nation doit adorer quelque chose de plus grand qu’elle-même, les principes fondamentaux partagés par l’humanité.

“Je me souviens de Mon alliance”
Yeshayahou Leibowitz rappelle que le verset “Et je me suis souvenu de Mon alliance” n’implique, d’après les Talmudistes et les Tossafistes (descendants de Rachi), aucun droit. Pour que l’alliance, qui persiste en puissance, ait des conséquences effectives, cela exige des actes de la part de l’autre contractant et cet autre contractant c’est nous.
Il convient de combattre cette idée idolâtre: le salut nous serait promis sans condition.

Ainsi, la destinée des nations ne réside pas dans les externalités de la richesse ou du pouvoir, du destin ou des circonstances, mais dans la responsabilité morale et dans l’action.

C’est en développant la capacité de se considérer comme responsable des maux qui lui arrivent, qu’une nation devient résiliente.

Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks

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