Le Raalbol de Foestraets – La Parasha Bamidbar

Bamidbar (Dans le désert)

Le Livre des Nombres s’appelle en hébreu Bamidbar (dans le désert).
Il décrit la seconde partie du chemin des hébreux: celui vers la Terre promise, ainsi que celui vers la Liberté.

Don de la Torah: démocratisation du savoir

La paracha Bamidbar doit être lue avant la fête de shavouot, celle de la révélation.
Cette révélation se produit devant l’ensemble du peuple, alors que dans les traditions de l’époque, seule une élite pouvait être en présence des dieux.
Les peuples païens voyaient les dieux dans la nature.
Le Judaïsme offre une approche différente, considérant que la nature était l’œuvre de Dieu.
Celui-ci ne peut être vu. Sa présence est attestée par sa parole. La conséquence est l’interdiction de la représentation de Dieu.

La révélation adressée à l’entièreté du peuple est donc singulière.
Pour Sigmund Freud, pourtant hostile à la religion, cette approche aura une influence déterminante: “subordonner la perception sensible à une idée abstraite, c’était un triomphe de la spiritualité sur les sens”.

Maharsha, talmudiste du 16ème siècle,  considère que la Torah a été révélée à 600.000 personnes, correspondant au nombre d’interprétations possibles.

Levinas enseigne que la Vérité absolue n’est possible qu’en additionnant les interprétations de chaque individu. Comme pour le Sefat Emet (Rabbi de Gur), qui considère que chaque juif est une lettre de la Torah. Le livre n’est complet que si chaque lettre y a sa place.

Pourquoi la révélation se produit-elle dans le désert?

Certains sages considèrent que le désert n’appartient à personne. Ainsi, la Torah n’appartient à personne en particulier, à aucune tribu particulière, mais à l’humanité.
En outre, l’étude de la Torah nécessite un esprit ouvert, éloigné de toute influence, de tout désir, de toute ambition et de toute recherche d’intérêt.

Pour Aba Eban, cette période dans le désert était nécessaire pour préparer le peuple à affronter les armées philistines.

L’historien Nachman Ran pense que cette période était nécessaire afin de constituer une nation et l’élaboration de la religion. N’étant plus esclaves, ils durent prendre en main leur devenir. Cette marche dans le désert leur a appris la dépendance et la loyauté des uns envers les autres, l’importance des commandements d’ordre éthique ou rituel qui leur permettrait de donner une densité supplémentaire à leur existence grâce au sens du sacré.

En rupture avec leur époque, les hébreux se voient confier la Torah. Le peuple en est récipiendaire, et non une élite. C’est la démocratisation de la Torah.
Ezra agit dans la même logique lorsqu’à Roch Hachana, après le retour de Babylone, il réunit le peuple pour lui raconter la bible.
C’est aussi ce que fait le grand prêtre Joshua Ben Gamla qui, au moment de la disparition du temple, rend l’instruction obligatoire dès l’âge de 6 ans.

Dans le désert, les hébreux ont connu une transformation. L’anthropologue Arnold van Gennep décrit les rituels qui distinguent trois étapes d’une transition: la séparation (ce qu’on n’est plus), l’étape liminale, et l’incorporation (ce qu’on devient).
Le passage dans le désert est l’étape liminale.

L’établissement d’une nation nécessite un territoire, et la Terre promise joue un rôle central, depuis le récit d’Abraham. Cette terre dans laquelle il devra établir une société fondée sur la justice, la compassion, la dignité humaine et la liberté.

Pourtant l’histoire du peuple juif est ponctuée de nombreux exodes. Le révolutionnaire russe Alexander Herzen décrit que “les Slaves n’avaient pas d’histoire, seulement de la géographie. La position des Juifs est à l’opposé de celle-ci. Ils ont joui d’un peu trop d’histoire et trop peu de géographie”.

Pourtant, l’exil ne signifie pas la fin de l’Alliance. Celle-ci est fondée sur des moments essentiels, qui se déroulent hors de la Terre sainte.

Premier commandement de Bamidbar: procéder au recensement

La haftara associée à la paracha est tirée du chapitre 2 d’Osée pour une raison apparemment purement formelle.
Bamidbar commence par le recensement, et la haftara commence par ces mots: “Et le nombre des enfants d’Israël sera comme celui des grains de sable de la mer”.
Osée compare le lien entre Dieu et le peuple d’Israël à celui d’un homme et d’une femme, à l’alliance du mariage: “Alors Je te fiancerai à moi pour l’éternité, tu seras Ma fiancée par la droiture et la justice, par la bonté et la bienveillance” (Os 2,21 et 22).
Droiture, justice et bienveillance sont donc des conditions qui déterminent l’existence même de l’Alliance, et donc du peuple juif, comme mentionné dans la paracha de la semaine dernière.

Revenons au recensement, le deuxième de la Torah, puisqu’une taxe avait été demandée dans l’exode à chacun pour contribuer à la construction du Tabernacle. Le rabbin Samson Raphaël Hirsch insiste sur l’importance du soutien individuel à la communauté, par cette contribution au Tabernacle, au Temple, à l’école, etc.

Cette fois, le recensement intervient exactement un an et un mois après la sortie d’Egypte, un an après le don de la Torah.

Nahmanide insiste sur l’organisation du recensement par Moïse qui ne s’adresse pas aux chefs de famille mais demande à chacun de se présenter individuellement, insistant sur la valeur et l’importance de chaque individu. Tous étant comptés, chacun connaît sa place et sa valeur au sein de la communauté.

Le recensement raconté dans Bamidbar a pour objectif de déterminer qui pourra combattre. Il ne concerne que les hommes de 20 à 60 ans.

Les hommes devront combattre, les femmes devront protéger.
Les femmes transmettent l’identité, les hommes transmettent l’héritage.
Cette différence sémantique est analysée par la Rav Barukh Halevu Epstein: “Bat (fille) est une forme compacte du mot bayit, une maison. Selon cette tradition, les hommes (ben) construisent des bâtiments, les femmes construisent des maisons”.

Carol Gilligan, professeur à la Harvard Graduate School, a soutenu dans son In a Different Voice que les hommes et les femmes s’engagent de manière caractéristique dans différents types de raisonnement moral. Les hommes ont tendance à penser davantage en termes de justice, de droits et de principes abstraits, les femmes davantage en termes de compassion, d’éducation et de rétablissement de la paix.

Quand on veut connaître l’effectif d’une armée, comme au début de Bamidbar, on compte les hommes. Mais quand vous voulez connaître la force d’une civilisation, tournez-vous vers les femmes. Car c’est leur intelligence émotionnelle qui défend le personnel contre le politique, le pouvoir des relations contre les rapports de pouvoir.

 

Shabbat shalom
*Inspiré des enseignements du Rabbi Lord Jonathan Sacks

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