Anne Frank, le Xxème siècle en manga. Noriyuki Irasawa, Natsuko. 2024
Le 13 mars dernier, sortait en édition française, le manga Anne Frank écrit par Noriyuki Irasawa et illustré par Natsuko. Ce livre issus de la série de livres « le Xxème siècle en manga », a comme son nom l’indique, pour but de résumer l’histoire et les grandes idées qui parcourent le Xxème siècle. Les lecteurs de bandes dessinées occidentales auront tôt fait de répliquer que nous avons également des BD qui retracent le journal d’Anne Frank. Pourtant, il apparait que les japonais ont une grande fascination pour l’autrice allemande. Mais qu’en est-il du reste de la Seconde Guerre Mondiale ? Pour tenter de répondre partiellement à cette question, il nous a semblé intéressant de questionner les mangas, genre littéraire très populaire au Japon mais également dans nos contrées.

Comme nous l’avons dis, le Japon a une grande fascination pour le récit d’Anne Frank. Cette fascination est alimentée par des sorties fréquentes de mangas, films d’animations, expositions et projets pédagogiques. En effet, les japonais semblent se sentir connectés à cette histoire. Pour Alain Lewkowicz, auteur de Anne Frank au pays des mangas cela s’expliquerait ainsi : « Elle symbolise l’ultime victime de la Deuxième Guerre Mondiale. Et c’est ainsi que la plupart des Japonais, voit leur propre pays à cause des bombes atomiques : une victime, jamais un agresseur. ». En effet, il semble que le Japon tente d’oublier son passé au sein des Forces de l’Axe et les atroces crimes de guerres commis en Chine et en Corée. Ainsi, la Shoah est relativement mal connue des japonais si l’on exclu Anne Frank.
La Seconde Guerre Mondiale est mal comprise au Japon et cela n’empêche pas les mangakas de représenter cette période de l’histoire. Dans l’esprit de la plupart des gens les nazis représentent l’ennemi parfait. Ils disposent d’une idéologie claire qui les pousse dans leur action, possèdent une esthétique et une façon de parler qui leur est propre. Utiliser les nazis dans une fiction peut se révéler pratique, car le lecteur comprend tout de suite qui est le « méchant » et qui est le « gentil ». De nombreux mangas utilisent cette image du nazi pour diriger l’action du héros contre ceux-ci, sans qu’il y ait nécessairement un désir de réalité historique.
C’est le cas du personnage de King Bradley, présent dans la série Full Metal Alchemist. Ce chef d’état d’un pays imaginaire inspiré par l’Allemagne est dans ce récit l’organisateur du génocide des Ishbals et se fait appeler le Führer (le terme Führer désigne d’abord un chef, avant de devenir ce titre que l’on associe presque exclusivement à Hitler).

Il existe néanmoins des mangakas qui voudront aller plus loin. Pour eux, le manga doit aller au-delà de la simple exposition des faits. Il doit servir, avant tout, de base pour dénoncer la guerre, le nationalisme, le totalitarisme et l’isolationnisme.
Dans L’histoire des 3 Adolf, Osamu Tezuka (le créateur d’Astro Boy) met en scène trois personnages prénommés Adolf. Adolf Kaufmann, fils d’un partisan nazi, voué aux jeunesses hitlériennes. Adolf Kamil, un juif vivant au Japon qui se lie d’amitié avec le jeune Kaufmann; Et bien entendu, Adolf Hitler. Le récit commence durant les jeux olympiques de Berlin de 1936 et se termine avec le début du conflit israélo-palestinien. Le but de ce manga est de montrer la montée du fascisme en Allemagne, mais également au Japon. Effectivement, le Japon a une lourde histoire de racisme structurelle que certains auteurs entendent bien combattre.

Shigeru Mizuki commence son travail de mangaka dans les années 50. Il a été particulièrement marqué par la guerre, celui-ci ayant perdu un bras alors qu’il combattait les Américains au nom du Japon. Il est l’auteur de Gengika Hitler sorti en 1971. Ce manga raconte l’histoire d’Hitler, de sa jeunesse jusqu’à la fin de la guerre. Mizuki associe habillement des dessins de paysages, d’armées et de camps d’extermination particulièrement soignés, avec des dessins de personnages souvent aux allures grotesques (en particulier celui d’Hitler, voir illustration ci-dessous). Au travers de ce manga il tente de comprendre comment le monde a pu en arriver là. Comment les Allemands ont laissé Hitler monter au pouvoir ? Pourquoi le Japon s’est allié à l’Allemagne ? Etc…

Le dernier manga que nous allons voir est Gen d’Hiroshima (Gen est le prénom du personnage principal) de Keiji Nakazawa sorti en 1975. Ce récit ne décrit que des évènements survenus au Japon à partir du printemps 1945. Gen et sa famille sont des pacifistes, ils ne désiraient pas l’entrée en guerre du Japon. Malheureusement pour eux, ce n’est pas le cas des habitants de leur village qui voient en eux, des traitres. Mais le 6 août 1945 la première bombe atomique de l’histoire détruit la ville de Hiroshima. L’histoire va alors se concentrer sur la reconstruction physique et psychologique du Japon après l’explosion de Little Boy. Nakazawa insiste sur les traumatismes de la société japonaise : rejet social des victimes de la bombe qui symbolise la défaite pour les Japonais, famines et pauvreté entraînant marché noir, criminalité organisée des yakuzas et orphelins délinquants. Il essaie également de rappeler aux japonais les crimes de guerres causés en Chine et en Corée. A nouveau, le but de ce récit est de combattre toutes formes de discrimination mais c’est également un appel lancé contre l’impérialisme et les méfaits des militaires. Ce manga sera souvent comparé au Maus d’Art Spiegelman qui en préfacera l’édition américaine.

D’autres mangas parlent de la Shoah et ce n’est pas le seul médium qui propose du contenu sur le sujet au Japon. Mais si le Japon n’arrive pas encore à intégrer son passé problématique au sein de son éducation, force est de constater que des auteurs et artistes ont bien décidé de s’approprier cette thématique, pour poser des questions parfois laissées de côté dans le discours public. Pour finir, voilà comment Tezuka résume son oeuvre : « Ce que j’ai cherché à exprimer dans mes œuvres tient tout entier dans le message suivant : Aimez toutes les créatures! Aimez tout ce qui est vivant ! » .
Yonathan Kreisman
Liens
https://www.arte.tv/digitalproductions/fr/anne-frank-au-pays-du-manga/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Journal_d%27Anne_Frank
Film d’animation Anne no Nikki, Le Journal d’Anne Frank, en anglais : https://www.youtube.com/watch?v=qAIRFyR6NyQ