Sara Brajbart-Zajtman, vous êtes une militante communautaire, bénévole, de longue date, je cite pêle-mêle : journaliste, vous avez écrit dans plusieurs journaux ; vous avez créé, il y a 25 ans, un journal original d’écologie et de bien-être pour le KKL. Comme présidente-directrice de rédaction de Regards, vous avez professionnalisé le journal, selon les termes de Armand Szwarcburt, alors éditeur responsable1. Vous avez fait circuler les expositions de Beth Hatefutsot en Europe, vous avez été présidente de Magen David Adom Belgique, co-fondatrice du Collectif Dialogue & Partage qui a lancé, il y a plus de 20 ans, un procès pour antisémitisme contre le site Internet « Assabyle.com » du Centre islamique belge de Molenbeek animé par des islamistes2. Le Collectif Dialogue & Partage a également organisé de nombreuses « Rencontres culturelles entre Juifs et musulmans »; il a également présenté de nombreuses figures de l’intelligentsia musulmane lors de son émission hebdomadaire bien appréciée par les auditeurs pendant les quatre années de sa présence sur les ondes de Radio Judaïca. Vous animez la page FB du « Collectif belge contre l’antisémitisme » qui a réalisé cette vidéo* au succès viral « Je suis Belge. Je suis Juif. Dois-je partir ? ». Mais nous sommes plus particulièrement intéressés par votre participation à la fondation de la Maison de la culture Juive.
Comment cette aventure a-t-elle commencé ?
On est en 1980-81, je suis les cours de yiddish de Madame Lounski, la lehrerhke Katz, une intellectuelle lituanienne. Elle nous transmet sa passion pour la langue et pour la littérature yiddish. On découvre Yitskhok Leybush Peretz, An-ski, Sholem Ash, Peretz Markish… Les cours se donnent au Centre des Jeunes et un jour, son directeur, Raphaël Benizri, me contacte et me demande si je peux l’aider à « construire la Maison de la Culture Juive. »
La Maison de la Culture Juive n’existait pas encore ?
En fait, Raphaël Benizri voulait réserver les activités du Centre des Jeunes (CDJ) à la jeunesse et regrouper les activités plus spécifiquement culturelles au sein de la Maison de la Culture Juive. Les statuts avaient été déposés depuis près de deux ans et la Communauté Française, l’organisme de référence, n’avait pas encore réagi. Il se fait qu’à cette époque, nos amis, Jacky et Claudine Lévy, avaient perdu leur maman ; leur père était désemparé et extrêmement affecté. Et pour l’aider à supporter la perte de sa femme adorée, les Lévy nous avaient demandé d’impliquer leur père dans nos activités communautaires.
C’est ainsi que Clément Gilbraut a pris les choses en mains ?
C’était un homme extraordinaire. D’une intelligence brillante, d’un entregent exceptionnel, d’une grande générosité et d’un humour décapant. Avec lui, en deux temps trois mouvements, nous étions reçus par Philippe Moureaux, président de la Communauté française. Nous obtenions la reconnaissance de l’Asbl et les subsides de fonctionnement avec la prise en charge d’un poste de directeur et aussi d’un(e) secrétaire. Ce qui nous donnait une belle latitude pour organiser nos activités.
Quelles sont les activités les plus marquantes qui ont alors été initiées ?
On a commencé fort. On a organisé une exposition Anne Frank. Deux mille élèves des écoles de l’agglomération bruxelloise, âgés de 12 à 18 ans, se sont inscrits. On se demandait comment on allait pouvoir accueillir autant de monde… mais les étudiants de l’UEJB et les moniteurs du CDJ sont venus en masse nous seconder. En fait, il s’agissait d’un cycle en 3 temps : film – débat – exposition avec questionnaire, cycle ensuite dénommé « Journées scolaires Anne Frank » compte tenu du développement du projet. Les élèves assistaient d’abord à la projection du film Le Journal d’Anne Frank réalisé par George Stevens. Comme ce film durait 2h30, mon mari, Jacques Zajtman, qui a toujours été complice de toutes mes initiatives, l’a réduit à 1h20. Après avoir assisté à la projection du film, les élèves montaient dans les locaux situés à l’étage par groupe de 10 avec les étudiants qui animaient les débats.
Cette proximité d’âge facilitait le dialogue et stimulait la curiosité des élèves. Nous avions préparé un dossier pédagogique pour guider la discussion : que fait-on en temps de guerre ? On s’occupe des siens ou on s’engage dans la résistance ? Face aux arcanes de la haine, l’antisémitisme, le fascisme, comment agir ? A l’image de l’excellent programme éducatif du Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind « La haine, je dis Non » mais avec 20 ans d’avance.
Succès sur toute la ligne donc ?
Parfois, le débat passionnait tellement les élèves que ceux-ci n’avaient plus le temps de visiter l’exposition, ils revenaient le weekend avec leurs parents ou seuls après avoir pris rendez-vous avec l’étudiant-animateur du débat. La télévision a fait un reportage sur notre action. Le journal Le Soir nous a interviewés. La couverture presse était importante. Mais surtout, on a reçu de nombreuses lettres d’élèves, de professeurs ou de chefs d’établissement pour nous remercier… Je suis sûre que les élèves qui ont suivi notre cycle ne se laisseront pas manipuler au cas où on voudrait leur imposer une image caricaturale des Juifs.
Vous avez organisé d’autres expositions ?
On avait donc compris qu’une exposition est un excellent support pédagogique pour faire passer des idées. On s’est alors rendu à Beth Hatefutsot, le musée de la diaspora, à Tel Aviv, et nous avons fait venir plusieurs expositions d’une richesse exceptionnelle : « Souvenirs d’un univers perdu » consacrée au judaïsme polonais entre 1860 – période marquée par l’essor de la photographie et donc des premiers témoignages visuels de la vie juive polonaise – et 1939. A la veille de la guerre, la communauté juive de Pologne produisait 650 journaux, en yiddish, en hébreu ou en polonais ! Il y avait une vie intellectuelle intense, les Juifs tournaient des films d’avant-garde, le théâtre sous le magistère de Meyerhold conquérait ses lettres de noblesse. Grâce à Sonia Dratwa-Pinkusowitz, professeure de Yiddish à l’Institut d’études du judaïsme, de nombreux documents furent traduits pour le plus grand plaisir du public.
On a aussi organisé en collaboration avec la Communauté française « Kafka Prague » au Botanique. Puis, on a diffusé l’exposition « 100 ans d’immigration sioniste en Eretz Israël » une exposition que l’on ne pourrait plus montrer aujourd’hui. Cette expo était tellement importante que nous avions sollicité les deux centres communautaires, le Cclj et le Cercle Ben Gourion, pour la montrer. On a fait circuler certaines de ces expositions à Paris, à Zurich…on a également organisé l’exposition « 400 peintres israéliens » et l’exposition de Beth Hatefutsot « Jewish heritage » pour Yom Hastmaout dans des scénographies mises au point par mon mari avec professionnalisme et originalité ainsi qu’une exposition sur Einstein.
Et outre les expositions ?
Des conférences. La première c’était « Juifs de Chine », nous étions plus de 150, on avait dû refuser du monde et quand Julien Klener, alors professeur à l’université de Gand, est entré dans la salle pour présenter son sujet, il s’est exclamé : « Tant de monde ? Je pensais que l’on serait à peine un minyaan ! » On a aussi invité Abraham Moles à nous parler des relations entre Communauté et Espace, Isabelle Stengers et Léon Eskenazi sur l’évolution et le créationnisme, le grand-rabbin Safran de Genève sur la Kabbale, et les cours de Raphaël Benizri notamment sur le principe de l’alphabet hébraïque … Nicole Helsajn s’occupait énergiquement de la partie musicale : concert Micha Maiski, concert Yuval Yaron et le chef Bartholomée, la chorale de Belgrade… On a monté une médiathèque à thème juif avec l’aide de Rosenthal, un musicologue expérimenté. On a présenté des pièces de théâtre notamment l’impressionnante « Le solitaire de Prague » d’après Kafka de Marcel Casteleyn, des films… Beaucoup de militants actifs nous avaient rejoints. Ce qui favorisait la diversité des initiatives.
La maison de la culture juive était administrée par qui ?
Le comité actif était composé de religieux comme Raphaël Benizri d’une part et de laïcs comme nous. D’une manière générale, cela ne se passait pas trop mal. Raphaël était tolérant et nous arrivions à trouver un modus vivendi. Par exemple, les expos étaient accessibles le samedi aussi mais gratuitement. C’est la question politique qui nous divisait. Certains se définissaient comme religieux mais exigeaient un soutien inconditionnel à Israël or, quand vous êtes laïcs, vous n’aimez pas vous soumettre à un diktat. C’était donc des discussions sans fin, cela nous a découragés. On a encore organisé à l’initiative du Comité belge de Beth Hatefusot des voyages à Budapest, au Portugal à la rencontre des conversos. C’est une aventure à laquelle ont également participé nos amis Michel et Ruth Laub, Sylvie Lausberg, Yves Hiram Haesevoets, Dov Langman, Chantal Schulman et tant d’autres. C’était un beau moment de vie et c’est formidable que, grâce à vous, la Maison de la Culture juive soit à nouveau si dynamique.
Propos recueillis par Luc Kreisman
Lien et notes
* https://dialogueetpartage.org/?p=302
(1) Regards 423 – 21/4/1998
(2) L’auto-proclamé Cheikh Bassam Ayachi dirigeait ce Centre islamique belge par lequel sont passés la plupart des auteurs des attentats de Paris et Bruxelles ainsi que les assassins du commandant Massoud – démasqués par la brillante journaliste de RTL, feue Marie-Rose Armesto. Lors de ce procès, l’avocat à la quenelle, Sébastien Courtoy, était le défenseur de ces islamistes qui sont ensuite allés se faire exploser en Syrie. Comme quoi, le Collectif Dialogue & Partage avait été visionnaire.
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