Georges Arditi (1914-2012)
Pierre et Catherine Arditi enfants 1950
Huile sur toile 130 x 89 cm
Roubaix, La Piscine-musée d’Art et d’Industrie André Diligent
(don de Catherine Arditi en 2023).
Photo : Alain Leprince © ADAGP, Paris, 2023
La Piscine de Roubaix expose un artiste juif méconnu, le père de l’acteur Pierre Arditi.
« Pierre et Catherine Arditi enfants » (1950) est le tableau tête d’affiche de « Georges Arditi (1914-2012). D’un réel à l’autre ». Cette exposition temporaire du musée roubaisien, en parallèle de « Chagall politique », révèle l’œuvre figurative du peintre, dont une série d’esquisses de décors de théâtre évoque aussi les contributions aux arts décoratifs. Second volet de cette rétrospective, de février à juillet 2024, le musée Estrine de Saint-Rémy-de-Provence, exposera ses paysages du Mont Ventoux et sa production abstraite.
Georges Arditi (1914-2012) naît à Marseille. Sa mère, Esther Asseo, vient de Salonique et son père, David, de Bulgarie. La sœur de David, Mathilde, est la mère d’Elias, Jacques et Georges Canetti. La famille s’installe à Paris dans l’appartement de la mère d’Esther, place Wagram. Georges s’ennuie au lycée, mais se passionne pour le dessin et la peinture. Il entre à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (1932) où il suit assidûment le cours de Cassandre, célèbre affichiste publicitaire. Employé de la société de radiotéléphonie de son oncle, Georges contribue au budget familial et peint les week-ends dans la chambre qu’il partage avec son frère Joseph. En 1937, il a sa première exposition solo, à la galerie La fenêtre ouverte, et illustre des nouvelles pour le journal L’Intransigeant. Il expose au Salon des Tuileries (1938), puis devient l’assistant de Cassandre.
Juin 1940, Georges et sa famille fuient Paris vers Marseille. Dans un hôtel d’Aurillac, il rencontre Yvonne Leblicq et tombe amoureux de cette réfugiée bruxelloise. Rachel Arditi explique : « Il fait d’elle le magnifique portrait au crayon exposé à La Piscine, d’un trait, sans un seul coup de gomme! Yvonne remonte au bout de quelques jours à Bruxelles avec sa famille. Georges décide de retourner à Paris pour être plus proche d’elle. La famille Arditi reste à Aurillac encore un mois, puis descend à Marseille. À Paris, Georges travaille beaucoup. Gagne de l’argent comme il peut. Yvonne vient régulièrement le voir. Je ne sais pas comment il parvient à éviter l’arrestation ! Il rejoint sa famille à Marseille en juillet 1942.». La rafle du Vél’ d’Hiv’ décide Georges à rester à Marseille. Sans nouvelles d’Yvonne, il monte la chercher à Bruxelles, passe clandestinement la ligne de démarcation, et « la ligne rouge » de la Somme, séparant la France et la Belgique occupées, puis refait le même dangereux périple avec elle.
Revenu à Paris en 1943, le jeune couple loue un appartement cité des Fleurs. Dans un climat d’insécurité totale, Georges crée son premier chef-d’œuvre, Le Crépuscule, grande toile (130 x 195 cm) marquant l’apogée de sa période « quattrocentiste ». Les toiles des années 1940 exposées à La Piscine montrent un univers dépouillé et énigmatique de scènes de genre et natures mortes, où les figures humaines semblent aussi figées que les objets divers, présents d’un tableau à l’autre et agencés dans des compositions savantes, sous une lumière diffuse. Les débuts du jeune peintre suivent l’exposition « Les Peintres de la réalité en France au XVIIe siècle » au musée de l’Orangerie (1934-35), qui révèle des maîtres méconnus, tels les frères Le Nain et Georges de La Tour, peignant la vie populaire, des natures mortes et des paysages. Un art épuré, soucieux des réalités humaines, dans un monde en paix, opposé à l’art de cour, célébrant le roi et ses gloires militaires. Cette exposition captive toute une génération de peintres, dont le groupe Forces nouvelles, créé par Henri Héraut et ses amis, élèves de l’atelier Lucien Simon aux Beaux-Arts de Paris. Opposé au cubisme et à l’abstraction, Forces nouvelles prône le retour au sujet, à la nature, au dessin, au modelé, à la tradition (Piero della Francesca, Uccello, Mantegna, Ingres, David…). Le réalisme d’Arditi est proche de celui des peintres de Forces nouvelles, mais les sympathies de certains d’entre-eux pour la France de Vichy opposent le peintre juif et résistant, à ces partisans du « retour à l’ordre ».
Par décret du 15 mars 1942, tous les membres de la famille Arditi sont déchus de leur nationalité française. L’atelier de Georges, place Wagram, mis sous séquestre, est pillé. Une cinquantaine de toiles disparaissent. Un de ces tableaux sera retrouvé chez le fils d’une concierge du quartier qui prétend en avoir hérité ! En 2023, La Route, repris dans la liste des œuvres volées qu’établit Georges en 1996, est retrouvé dans une salle des ventes. Un témoignage unique des premiers travaux du peintre ! En décembre 1943, son frère Joseph est arrêté et déporté à Auschwitz… Georges sous-loue son appartement, Cité des fleurs, à Pierre Kahn-Farelle qui organise un réseau de faux papiers. Il échappe de peu à l’arrestation de « Pierre-des-faux-papiers » et ses résistants, fusillés en mars 1944.
Yvonne et Georges ont deux enfants : Pierre (1944) et Catherine (1946). Après la libération, Georges plonge dans le monde des galeries et des expositions (Salon des Tuileries, Salon d’Automne, etc.). Il illustre Les Grandes Heures du Louvre (1948) de Léon-Paul Fargue, et publie régulièrement ses créations graphiques dans la presse communiste (L’Humanité Dimanche, Les Lettres Françaises…). Le Musée d’Art Moderne de Sao Paulo lui consacre une exposition (1950). En 1949, l’État lui commande une décoration murale pour le Lycée technique Jules Ferry à Versailles. Cette peinture murale de 36 m2 forme une frise qui court sur le long côté d’une salle de classe et se poursuit sur le mur du fond, face à l’estrade. Elle représente en six tableaux les disciplines enseignées au collège, et évoque la reconstruction de la France d’après-guerre en trois vues de paysages industriels, gare, chantiers naval et de construction, avec le pont transbordeur de Marseille, détruit par l’occupant allemand. Ce mural à la gloire des travaux manuels appliqués à l’industrie est détruit « pendant les travaux de reconstruction de l’établissement de 1979 à 1981»
comme l’apprendra Georges, en 1994! Subsistent l’esquisse partielle montrée dans l’exposition et un relevé photographique en noir et blanc de Marc Vaux, « le photographe des peintres ». Durant un séjour dans le Midi, Arditi rompt avec sa vision directe de la réalité, peint par plans décomposés, privilégie la couleur. Il expose à Aix-en-Provence, est invité au Salon de Mai, participe à de nombreuses expositions en France et à l’étranger.
Pour subvenir aux besoins de la famille, Georges devient régisseur des tournées de musiciens (Sydney Bechet, Jacques Brel, Catherine Sauvage, Lil Amstrong…) qu’organise son cousin Jacques Canetti. Il réalise aussi des décors pour les théâtres du Vieux-Colombier et de la Huchette. L’État lui commande deux tapisseries : Les Bateaux (1954) et Le Port (1958). Son œuvre évolue vers une abstraction qu’il qualifie de post-cubiste, bannissant les détails et le modelé en volume. En 1959, il expose à la Galerie Berri-Lardy, sur le thème du Mont Ventoux. L’Académie Julian lui confie la création et la direction d’un atelier non figuratif (1960). En 1970, il rencontre Nicole Paroissien, dont il aura deux filles, Danièle et Rachel. Il revient alors à la peinture figurative. En 1990, le Musée de la Poste à Paris accueille la première rétrospective de son œuvre. Comme l’écrivait Edmonde Charles-Roux : « Une belle vie que la sienne, une belle vie de peintre avec ses hauts, ses bas, ses incidents multiples, ses jours de bourse plate pendant lesquelles d’autres métiers occupèrent Georges Arditi – il fut dactylo, vendeur, emballeur, livreur, encaisseur, publiciste, affichiste et j’en passe – sans jamais le faire renoncer à la peinture. »
Pierre Arditi écrit dans le catalogue de l’exposition : « Mon père m’a appris à regarder, ou plutôt à avoir un regard et de préférence un regard qui voyait ce que les autres ne voyaient pas ! ». Rachel Arditi remarque : « Le rapport de mon père à la judéité est assez complexe. Il est athée, tout comme l’étaient bien avant lui sa mère et sa grand-mère, bien qu’elles lui aient fait faire sa bar-mitsva. Il se revendique Juif, non sans une certaine fierté, mais a toujours refusé de porter la kippa aux fêtes familiales, auxquelles il se rendait quand-même, en particulier chez les Canetti. La peinture était sa seule religion! Il m’a peu parlé de la Shoah : c’était trop douloureux pour lui de repenser à son frère assassiné. On l’a enterré avec une photo de Joseph, et moi-même j’ai appelé mon fils Joseph. »
Roland Baumann
Exposition : Georges Arditi (1914-1912). D’un réel à l’autre.
Jusqu’au 7 janvier 2024.
La Piscine, 23 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix.
Mardi-jeudi 11-18h, vendredi 11-20h, Sa-Di 13-18h (fermé lundi)
roubaix-lapiscine.com
Découvrir l’oeuvre et la biographie de Georges Arditi sur le site : https://georgesarditi.fr/
Pour en savoir plus
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cassandre_(graphiste)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Salon_des_Tuileries
https://fr.wikipedia.org/wiki/Citédes_Fleurs
https://fr.wikipedia.org/wiki/Peintres_de_la_réalité
https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_nouvelles(mouvement )
https://fr.wikipedia.org/wiki/Salon_d ’Automne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Lettres_françaises
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marc_Vaux
https://fr.wikipedia.org/wiki/Salon_de_mai
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Canetti
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lil_Armstrong
https://fr.wikipedia.org/wiki/Edmonde_Charles-Roux